Christophe Manon, Ghislaine Brault et Emmanuel Carou ont été interviewés pour le dossier « Poésie(s) en liberté ».
Vous pouvez lire ci-dessous les interviews complètes.

Christophe MANON, auteur publié chez l’éditeur caennais Nous

« Cette confidentialité me convient parfaitement »

« La poésie contient par essence une forme de vitalité, elle est déjà un genre littéraire très libre, qui n’obéit pas aux contraintes économiques ou formelles d’autres genres de la littérature. De nouveaux auteurs s’y engagent assez facilement. C’est un genre de substrat où circulent des auteurs, où règne une émulation peu visible mais réelle. Cette confidentialité me convient parfaitement.

La poésie échappe aux lois du marchés, certes c’est difficile pour les auteurs et les éditeurs, mais cet état de fragilité permet la possibilité de surgir dans toutes les conditions, ici un petit festival, là une petite maison d’édition éclosent. Comme tous les genres marginaux, il est chargé de vitalité.

« Performances et poésie sonore font partie du paysage »

Même si je suis attaché au papier et que mon premier but reste d’être lu sur une page, je diffuse volontiers à haute voix, pour le rapport direct au public, et aussi pour retisser un lien avec une tradition millénaire de l’oralité des troubadours. La lecture en public fait partie de mon activité depuis au moins une dizaine d’années. Un des axes de la poésie contemporaine, c’est quand même de se rendre publique, entendue, vue. Performances et poésie sonore font partie du paysage. Moi je fais des lectures de mes textes à haute voix, parfois avec des musiciens. J’aime aussi allier les mots et la vidéo. Mais pour moi, l’écriture reste le geste premier. J’écris pour être lu par un lecteur sur une page.

Même si la poésie est peu présente chez les libraires et que la presse en parle peu, le public est bien présent, et on peut facilement réunir 50 personnes un soir pour écouter des textes. Les festivals, les manifestations littéraires sont aussi une voie intéressante pour se faire connaître ou tout simplement mettre son texte à l’épreuve du public. J’en retiens que le public est souvent ouvert à toutes formes y compris les plus inattendues. »

 

Emmanuel Caroux des éditions Lurlure

« Je perçois un milieu très dynamique »

« La poésie est milieu à la fois riche et foisonnant en terme de création, comme en témoignent de nombreuses revues en ligne ou papier, comme la trimestrielle Décharge (41 ans d’âge), TXT (que je viens de reprendre), ou encore Catastrophes (en ligne et sur papier) sans parler de toutes celles qui se créent, ou des manifestations, des résidences, des lectures publiques… Je perçois un milieu très dynamique.

Je reçois une dizaine de manuscrits par semaine en moyenne, des écritures très différentes, classique ou expérimentales. Je viens par exemple de publier Pierre Vinclair, qui a écrit sur le confinement dans un style qui revisite des formes anciennes du sonnet, en utilisant les codes formels des réseaux sociaux. 

La poésie reste toutefois un  genre confidentiel. Mais j’entrevois un vrai regain, certains libraires lui font une place, le réseau des librairies indépendantes est un atout sur lequel on peut s’appuyer. 

Il y a de bons éditeurs de poésie en Normandie. On se croise sur les salons. Chacun travaille de son côté, mais sans aucune concurrence. Il est difficile d’en vivre, j’ai d’ailleurs une autre activité professionnelle. Mais je vis mon projet d’édition comme un engagement, j’aime faire découvrir et diffuser. »

 

Ghislaine Brault des éditions La Feuille de Thé

« Le lien direct avec le lecteur est important »

« J’ai créé ma maison d’édition en 2005 à Beaufour-Druval (Pays d’Auge). Aujourd’hui mon catalogue compte de nombreux auteurs, dont plus de la moitié de la production est de la poésie. Je participe depuis 10 ans au Marché de la poésie (Paris) sur lequel j’ai un stand en propre depuis 5 ans. J’y invite d’autres confrères éditeurs. La Feuille de thé a publié environ 20 auteurs de poésie (28 recueils) depuis sa création. Elle recourt parfois à une imprimerie traditionnelle, la SAIG à l’Haÿ-les-Roses, où les petits livres sont fabriqués au plomb comme au XIXe siècle. Elle distribue et diffuse ses livres elle-même et ne publie qu'entre trois et cinq titres par an, or à l'heure actuelle, elle reçoit presque un manuscrit par jour.

« La création d’ un objet-livre est également intéressante"

La poésie touche souvent à des thèmes universels. La production est particulièrement dynamique, je reçois beaucoup de textes. Je pense qu’en France la poésie se porte plutôt bien, y compris côté lecteurs. Il y a un public. Pourtant les ventes restent assez faibles en librairies, aussi le lien direct avec le lecteur est important et la diffusion repose sur une présence minimum aux manifestations littéraires.

La poésie explore de nouvelles formes et peut trouver d’autres prolongements. J’ai publié par exemple « J’aurais préféré que nous fassions obscurité ensemble », un formidable recueil de poèmes écrits par Claire Audhuy, dont le mari a été tué au Bataclan en 2015. 

Ce texte a été adapté au théâtre et joué en Avignon l’été dernier. La pièce a eu du succès, ce qui a contribué à augmenter les ventes du recueil, lui-même un bel objet, fabriqué au plomb, ce qui en fait un objet rare. La création d’ un objet-livre en poésie est également intéressante. La Feuille de Thé a déjà publié cinq livres d’artistes, ouvrages dans lesquels, à partir du texte, un artiste vient poser son regard, non pas pour illustrer, mais pour exprimer ce que lui inspire le texte… »

Propos recueillis par aprim

[Entretien] Poésie : des éditeurs engagés