« Il faut appréhender l’ensemble de la chaîne comme un écosystème, pas une juxtaposition de secteurs »

L’auteur et traducteur Marin Schaffner, ethnologue de formation, est un des co-fondateurs de l’association pour l’écologie du livre. Il prône une transformation profonde qui permette de penser une autre organisation du monde du livre et de la lecture, autour de trois axes : une écologie matérielle, une écologie sociale et une écologie symbolique. Il est intervenu dans le cadre de la journée sur l'écologie du livre de Normandie Livre & Lecture le 20 mai 2021. Extraits.

« L’écologie s’insère dans tous nos modes de vie pour nous poser des questions éthiques. Comment nous organiser pour ne pas détruire la planète ? Comment prendre soin de nos milieux de vie ? ou œuvrer pour une société plus juste ? 

La question de l’écologie face à la chaîne du livre peut s’aborder selon trois thèmes : 

 

1. Les ressources

Depuis les années 50-60, la filière du livre est devenue une industrie culturelle. Ce qui a entraîné de nouvelles problématiques liées à la fabrication, au transport et au réemploi. Aujourd’hui, on en est à un point où un livre sur 4 ne sera jamais acheté et où le pilon détruit environ 20% de la production globale. En quelques décennies, la chaîne du livre s’est orientée massivement vers des logiques de profits sur les flux, ce qui pose des questions en termes de gaspillage.

 

2. Les territoires

Les modes de consommation ont évolué dans le même temps vers une massification, et une désertification des centres-villes, avec émergence de la grande distribution. La Chaîne du livre s’est donc trouvée de plus en plus alimentée par des livres destinés à être vendus, seule la loi Lang a permis de défendre le livre de création et de préserver des librairies et d’éditeurs indépendantes.

 

3. Les supports

L’arrivée des technologies numériques a fait évoluer le rôle des acteurs. Les GAFAM se sont appuyés sur cette révolution, numérique pour des logiques économiques de prédation : vouloir devenir le seul acteur de la production à la vente en passant par le désir du client. Les enjeux liés aux données, à la vitesse, aux écrans viennent bousculer le temps long de la lecture. 

Ces logiques amènent à de multiples formes de surconsommation et de surproduction destructrices, tant sur le plan écologique que social, avec une exploitation polluante des ressources et une précarisation des acteurs. 

Penser le développement durable de la fabrication du papier et du transport du livre est important, mais nous pensons qu’il faut une transformation écologique et sociale plus profonde pour penser le monde du livre et de la lecture comme un écosystème.

 

Qu’est-ce qu’une analyse écologique du livre et de la lecture ?

Nous pensons que l’enjeu est de penser les interdépendances dans le monde du livre et de la lecture. Il faut appréhender l’ensemble de la chaîne comme un écosystème, pas une juxtaposition de secteurs.

Nous avons imaginé des futurs alternatifs et désirables basés sur la coopération, penser de façon interprofessionnelle ce que pourrait être une autre organisation. 

Nous avons réfléchi à ce que pourraient être les livres de l’après pétrole, ce que sont les cœurs de métier des professionnels (médiation et création), le rôle de la lecture vecteur d’émancipation et d’imagination. De là, nous avons imaginé trois piliers pour l’écologie du livre : matérielle, sociale et symbolique.

L’écologie matérielle a trait à toutes les questions d’écoresponsabilité : fabrication, transport, réemploi…

L’écologie sociale a trait aux questions de coopération, d’interprofession (répartition de la valeur, le cœur de métier, etc.)

L’écologie symbolique s’appuie sur le concept de la bibliodiversité : œuvrer pour la diversité des manières de raconter des histoires partout sur la planète, dans toutes les langues.

Cette approche est pour nous un moyen d’adresser de nouvelles perspectives. Notre espoir, c’est d’initier de nouvelles façons de faire pour tenter d’enrayer la destruction du vivant tout en œuvrant à la plus grande diversité possible. Pour le dire autrement, essayer d’œuvrer ensemble à une plus grande biodiversité et une plus grande bibliodiversité. »

 

Propos extraits de son intervention lors d’une journée sur l’écologie du livre organisée par Normandie Livre & Lecture en 2021.

[Questions à…] Marin Schaffner, co-fondateur de l’association pour l’écologie du livre
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