La poésie servie bien frappée

Marion Renauld réalise des performances d’écriture poétique à l’aide d’une machine à écrire devenue sa marque de fabrique. Elle pose sa machine sur une table dans la rue, dans un square, au cœur d’un quartier ou dans des lieux incongrus, non dédiés à la culture. Lors d’une résidence à la Factorie, elle a transformé des billets de banque en billets doux, faisant claquer les mots au dessus des euros.

Son interview vidéo sur la chaîne YouTube « La Factorie Maison de Poésie », playlist « Rencontre en poésie »
 

« Avec la machine à écrire, le geste est explicité, on sait immédiatement ce que je fais. Et puis il y a la dimension sonore, au fait de frapper. Je me dis que dans cet acte d’écrire je ne peux pas être douce, je convoque un peu de colère, une dimension physique et sensorielle de l’écriture. Je prends une posture de travailleur. La machine est aussi une époque, un souvenir, elle appartient au passé, c’est incongru et ça interpelle le passant. Ça provoque des rencontres, c’est un médium social.

Il y a un côté spectaculaire dans cette proposition, parce que c’est incongru. J’écris à partir de cette machine, la situation crée de l’interaction, ce qui va générer d’autres textes. Je décide de ce que j’écris, et les curieux dialoguent avec moi, ce qui génère d’autres textes… 

Le fait d’inscrire l’écriture de manière aussi directe, un peu performative, dans un contexte quotidien change le regard et ôte toutes les couches symboliques d’une culture élitiste, d’un rapport à l’école, d’une autorité académique. Les gens ne se sentent pas jugés. »

 

Il y a de quoi faire exister la poésie autrement que dans les livres

« Il y a des pratiques de la poésie qui n’ont pas besoin d’édition. Je n’ai rien contre le livre évidemment, mais pour toucher un public plus large, il y a de quoi faire exister la poésie autrement que dans les livres. Je produis publiquement, je laisse une trace immédiatement, je diffuse de la main à la main ou j’affiche. Mes petits papiers vont s’installer au domicile des habitants, qui deviennent de multiples petites maisons d’édition dans lesquelles mes petits papiers vont habiter. Je ne produis que des originaux, dans l’éphémère, je sors de toute logique patrimoniale. C’est le geste qui compte, pas le résultat. Je pense souvent au boulanger. Fabriquer du pain, c’est un geste fondamental et banal à la fois. Pourquoi pas en faire autant avec les mots. »

 

Propos recueillis par aprim

[Entretien] Marion Renauld, autrice de poésie