TIRAGES, DROITS D’AUTEUR... Édifice repense son métier d'éditeur
Le financement participatif pour lutter contre la surproduction de livres ? C’est le modèle privilégié par les éditions Édifice pour construire son catalogue sur des fondations plus saines.
Tirer au plus juste, limiter les invendus. Tous les éditeurs poursuivent cette chimère, mais les faits sont têtus. Plus de 20 % des livres imprimés sont encore pilonnés. En multipliant les stages pour son master Ingénierie éditoriale et communication, Julie Pommier a été témoin de cette pratique choquante. « Détruire des ouvrages coûte moins cher que de stocker ou donner. Je ne voulais pas créer ma maison d’édition sur cette absurdité. J’ai décidé de ne pas imprimer un livre de trop et le financement participatif s’est proposé comme LA solution. »
Les éditions Édifice, toute jeune maison havraise, publieront cette année quatre ouvrages de BD, puis six en 2024. Pour chaque campagne de financement, l’objectif est fixé à 250 précommandes pour les premiers titres (légèrement en dessous du seuil de rentabilité situé à 300 exemplaires). « Si nous atteignons le premier palier à 60 % de l’objectif, la BD sera imprimée mais il n’y aura pas de réimpression ni de vente en librairie. Entre 95 % et 99 % de l’objectif, nous prolongeons la campagne pour atteindre les 100 % et assurer une diffusion en librairie. »
Pour Julie Pommier, maintenir ce lien avec les libraires locaux est primordial car ils sont les premiers conseils des lecteurs. Durant la campagne, ils peuvent d’ailleurs précommander grâce au pack Libraires qui leur réserve cinq ouvrages.
Des auteurs mieux rémunérés
Si un projet n’atteint pas les 60 % requis, l’auteur est libéré. Il conserve son à-valoir, la liste des contacts générés pendant la campagne de précommande, et bien sûr la faculté de proposer à un autre éditeur son projet déjà avancé. Il n’y a donc pas de perte sèche si l’aventure s’arrête. Mais avec ce mode de production, Julie Pommier s’attaque surtout au tabou des droits d’auteur. Le financement participatif permet de mieux redistribuer le prix du livre. « En percevant seulement de 3 % à 10 % de ventes, les auteurs sont les moins bien payés de la chaîne du livre. Pour une rémunération plus juste, Édifice propose 16 %, calculés sur les 250 précommandes. »
Dénicher des talents
Fondées il y a moins d’un an, les éditions Édifice s’appuient sur un travail de prospection débuté en 2020. Pendant ses études, Julie Pommier a constitué une communauté sur les réseaux sociaux, fréquenté les salons et les librairies, et lancé un appel à projets qui a permis de sélectionner plusieurs auteurs sur une vingtaine de candidatures. Des auteurs qui portent leur premier projet, autoédités ou déjà publiés par de grandes maisons. De cette manière, Édifice contribue à découvrir de nouveaux créateurs, comme Marianne Le Berre et Léo Badiali, deux architectes multi-talents qui publient leur tout premier roman graphique, Seules les algues savent.
Le financement participatif inaugure une nouvelle relation avec les auteurs mais aussi avec les lecteurs. La maison leur appartient un peu puisqu’ils ont choisi le nom et le logo par un vote. Pendant les campagnes de financement, les contributeurs sont également sollicités pour décider d’un décor ou d’un projet de couverture. Le livre imprimé représente finalement le fruit d’un travail collectif.
Propos recueillis par aprim
Julie Pommier a été interviewée pour le dossier «Vers une écologie du livre ?».
Lire l’intégralité du dossier «Vers une écologie du livre ?» publié dans Perluète #13
Retrouvez les interviews des autres acteurs du dossier in extenso :
- Marion Cazy, chargée de projets écologie du livre et événementiel à Normandie Livre & Lecture
- Francis-Luc Merelo de l’imprimerie IROPA
- Cécile Lavoisier-Mouillac et sa librairie itinérante
- Maryon Le Nagard, membre de la commission Bibliothèques Vertes de l’ABF
- Marin Schaffner, co-fondateur de l’association pour l’écologie du livre