À la tête de Normandie Livre & Lecture depuis un an, Sophie Noël fait confiance à l’intelligence collective pour soutenir la filière en ces temps incertains.

 

« L’un des gros enjeux, c’est la guerre de l’attention »

Votre démarche de réflexion se nomme « Le livre en chantier ». Est-ce parce que nous vivons une période de bascule pour la lecture et le livre ?

© S. Maurice / aprim

« Nous enchaînons les périodes charnières depuis quelques temps déjà, sur fond de mutation autour du numérique et des comportements (notamment chez les jeunes) avec des pratiques bouleversées par la lecture audio et les écrans. La filière est par ailleurs impactée par les suites de la crise Covid et de la guerre en Ukraine. S’ajoutent les enjeux écologiques et d’inclusion. Pour Normandie Livre & Lecture, cet environnement justifie qu’on lance un vrai chantier, au moment où s’ouvre pour elle une nouvelle période, avec l’élaboration d’un plan d’action sur trois ans. »

Vos deux grands axes de travail sont les relations entre acteurs de la filière et l’adaptation aux nouvelles pratiques de lecture. Ces thèmes étaient évidents ?

« Oui, ils sont inscrits dans la raison d’être de Normandie Livre & Lecture. Ils résument assez bien à quoi nous voulons servir. Œuvrer pour le dialogue interprofessionnel est un des fondamentaux de notre structure. Nous sommes l’agence de coopération des métiers du livre. Notre travail est de saisir des besoins des professionnels et de proposer des réponses dans le cadre d’une coopération permanente.

Il y a des progrès à faire sur l’interconnaissance entre les acteurs et surtout sur la prise de conscience d’objectifs communs. Chacun de son côté a des objectifs légitimes : l’auteur veut publier, l’éditeur veut diffuser, le libraire vendre, le bibliothécaire toucher tel et tel public… Mais il faut aussi penser destin commun et projet partagé.

Pour la thématique « mutation des pratiques de lecture », on est là en plein dans notre rôle sur la prospective, pour aider le réseau professionnel à anticiper et comprendre ce qui nous attend. En accompagnant les mutations, nous voulons contribuer à renforcer les acteurs dans leurs activités. »

Comment décririez-vous les mutations en cours en matière de lecture ?

« Un des gros enjeux actuels c’est la guerre de l’attention qui grignote le temps potentiellement consacré à la lecture. On n’est pas en décrochage massif, les Français lisent encore, mais moins et surtout autrement. Le développement de la multi-activité, notamment chez les jeunes, change la donne. Donc les lectures sont entrecoupées, les temps de concentration se réduisent.

De nouveaux modes de lecture comme le livre audio émergent. Le numérique, avec l’émergence de l’IA, vient aussi bousculer la création et interroger la propriété intellectuelle.

Donc la question est de savoir comment on intègre ces nouveaux paradigmes pour continuer de développer la lecture. Aujourd’hui, les leviers sont sur l’accompagnement et la médiation du livre, la lecture à voix haute, les ateliers d’écriture pour leur rôle incitatif vers le livre… Parmi les leviers envisagés lors des ateliers, travailler la participation du public, les recommandations est une réponse. Réaffirmer le principe d’une juste répartition de la valeur dans la chaîne du livre en est une autre. »

La filière est-elle assez préparée pour s’adapter ? Est-elle inquiète ?

« Inquiète oui, et c’est légitime. Face à cette inquiétude à nous d’apporter des réponses. Difficile de dire si la filière est globalement préparée, les perceptions de chacun sont différentes. Je crois beaucoup à l’expérimentation, au fait de proposer de nouveaux modèles grâce auxquels on trouvera des moyens de s’adapter.

Normandie Livre & Lecture doit développer ce rôle de laboratoire. Par exemple, sur l’écologie du livre, nous avons travaillé avec deux bibliothèques normandes pour conserver les documents en maîtrisant le recours à la climatisation. A partir de ce type de recherche, nous allons pouvoir déterminer des recommandations transposables. Nous allons développer ce type de collaboration pour imaginer des réponses concrètes et transposables, pour mieux s’adapter aux nouvelles réalités que rencontre la filière. »

La coopération interprofessionnelle doit-elle progresser en Normandie ? Qu’en disent les professionnels consultés ?

« Normandie Livre & Lecture est très attendue sur cet enjeu de coopération. Les participants à nos ateliers se sont largement exprimés en faveur de temps de rencontres, de temps d’échanges, pour poursuivre des dynamiques engagées. Se rencontrer n’est pas une fin en soi. Encore une fois il faut partager une vision collective et des objectifs atteignables. Beaucoup d’idées aussi ont été émises pour aider à mieux connaître les métiers de chacun : speed dating, « Vis ma vie », annuaire enrichi… Les professionnels expriment aussi le besoin d’être guidés vers des bonnes pratiques partagées, ce que nous faisons déjà à travers des outils pédagogiques type vade mecum ou webinaires…  C’est à poursuivre. »

Avez-vous été surprise par les propositions lors de vos ateliers participatifs ?

« J’ai surtout noté une grande convergence des idées d’un atelier à l’autre. J’ai senti des attentes de fond, qui échappent aux contingences locales. Des attentes qui convergent d’un territoire à l’autre, ce qui est précieux pour établir pour établir une stratégie à l’échelle régionale. Nous avons aussi senti un fort engagement des participants pour apporter leur éclairage. »

 

Propos recueillis par aprim

Sophie Noël a été interviewée pour le dossier «Le livre en chantier».

Lire l’intégralité du dossier «Le livre en chantier».» publié dans Perluète #14

Retrouvez les interviews des autres acteurs du dossier in extenso :

[Questions à…] Sophie Noël, directrice de Normandie Livre & Lecture