Vingt ans après la parution de Journal,
un roman graphique autobiographique,
l’auteur de BD en publie la suite en cette rentrée.
Un temps fort de sa carrière qu’il vit à la fois « enthousiaste et totalement paniqué ».
Près de vingt ans après la publication du premier tome de votre Journal paraît la suite de ce travail : Le Dernier Sergent, tome I, Les Guerres immobiles. Comment le vivez-vous ?
C’est une sensation étrange, car le monde a changé en vingt ans et la réception des œuvres aussi. Les publics se sont diversifiés, tendus et polarisés ; je suis évidemment tout à la fois enthousiaste et totalement paniqué.
Cette parution, plus de vingt ans après les quatre tomes de Journal, en est la stricte continuité, ou peu s’en faut, puisque le récit global retracera une période de vie du narrateur allant de 1998 à 2002. J’ai probablement gagné en maturité, surtout en ayant, entre-temps, publié des récits de science-fiction. Les deux grandes nouveautés seront surtout l’incursion de la famille et celle du VIH, quasi absents de tout Journal. En tant que séronégatif, j’avais volontairement occulté ce dernier aspect pour ne pas lester mon récit d’un éléphant de porcelaine ingérable, surtout que les années 1990 et 2000 furent bien nourries de récits sur la séropositivité. En 2023, grâce aux trithérapies, je me sens un peu plus « apaisé » pour aborder cette thématique pesante, surtout en tant que séronégatif, dont la parole aurait pu être discréditée à l’époque pour manque de légitimité sur la question.
Mon dessin a aussi beaucoup évolué. Surtout que, dans ce premier opus, des pages ont été réalisées quasiment « sur le motif », soit autour des années 2000/2004. J’ai dû les corriger partiellement pour qu’il n’y ait pas une rupture graphique trop violente.
Le noir et blanc est caractéristique de votre travail. Pourquoi ce choix artistique ?
Le noir et blanc n’est pas une spécificité de mon travail, une part non négligeable de la bande dessinée en use, notamment la quasi-totalité du manga. C’est d’ailleurs largement l’influence graphique de celui-ci, dès le début des années 1990, qui m’a fait opter pour lui. Et ce, bien plus et bien avant que je découvre tous les récits plus underground de la production francophone des mêmes années (Baudoin, David B., Boilet, Aristophane, Alagbé, Menu, Konture...) ou les récits anglophones (Crumb, Doucet, Seth, Chester Brown, Justin Green...).
En éliminant la couleur, l’attention se porte davantage sur la narration, je crois, voire le discours. De plus, mon travail procède en partie du croquis et du dessin d’observation et de carnets, peu de place et de temps pour la couleur.
Selon vous, est-ce que parler de soi, c’est aussi parler des autres ?
En réalité, l’autobiographie, surtout chez moi, n’est pas « parler de soi », mais à partir de soi. Aussi étrange que cela puisse paraître, parler de « moi » ne m’intéresse pas du tout.
Je souhaite surtout parler des relations sociales, de notre société contemporaine, des rapports de dominations aussi bien dans les rapports professionnels qu’interpersonnels, analyser, décortiquer, observer aussi bien au microscope qu’au télescope les structures et les habitus sociaux. Et au lieu d’offrir une énième fiction contemporaine sur le « réel », avec ses métaphores et ses poncifs, la meilleure façon (à mon sens) de le faire est de prendre ce qu’on a le plus directement sous la main, donc « soi ».
Ensuite, j’aime le rapport micro-macro. Je fais le pari que le récit le plus individuel est traversé à l’échelle micro par les mêmes patterns et structures que le récit collectif, macro.
Propos recueillis par Cindy Mahout et Valérie Schmitt
Bio express
Après un DEUG de philosophie et des études aux Beaux-Arts, Fabrice Neaud nourrit un projet de bande dessinée autobiographique qui donnera lieu à la publication de Journal en 1996 chez l’éditeur Ego comme X, dont il est l’un des cofondateurs. Cet ouvrage recevra le prix Alph’Art Coup de cœur au Festival international de la bande dessinée d’Angoulême en 1997. Des récits inédits sont également parus dans le collectif éponyme de la maison d’édition Ego comme X ainsi que dans la revue Bananas. Par son ampleur et son ambition artistique, le travail de Fabrice Neaud est l’une des démarches les plus singulières du moment. Il a reçu le Prix spécial pour le prix littéraire Georges en 2000 pour Journal, tome III, ainsi que le prix Petit Robert en 2002 pour l’ensemble de son œuvre, lors du Festival de Saint-Malo.