« Une dynamique se met en place »

Marion Cazy, chargée de projets écologie du livre et événementiel à Normandie Livre & Lecture, fait un premier bilan de la démarche en Normandie. Interview.

Comment définir l’écologie du livre ?

L’écologie du livre dépasse l’écoresponsabilité. Pour l’Association pour l’écologie du livre, la définition s’appuie sur trois notions : l’écologie matérielle (écoresponsabilité), sociale (coopération, rémunération, élargissement des publics) et la bibliodiversité (encourager la richesse et les voies différentes, face au mainstream).

Normandie Livre & Lecture s’est emparée de la question dès 2020. Après l’organisation d’une journée de travail en mai 2021, l’agence a créé la mission dédiée que j’occupe. 

La question intéresse-t-elle beaucoup dans la filière ?

Au départ, j’ai senti un intérêt assez marqué pour la dimension environnementale. Mais globalement la dynamique doit encore se confirmer, elle se met en place. Nous disposons d’un noyau dur, sur lequel on a pu s’appuyer pour construire la charte. Ces derniers temps, le frémissement se confirme, les bibliothèques notamment se manifestent. C’est plus compliqué dans certains métiers, comme les auteurs, du fait de leur précarité notamment. Les éditeurs aussi sont un peu en retrait, après la crise Covid, ils affrontent la crise du papier… Là encore, ils voient surtout la dimension environnementale de l’écologie du livre, moins d’autres aspects comme la bibliodiversité qu’ils défendent pourtant au quotidien.

Où en est la Normandie sur le sujet ?

Plutôt en avance. Nous avons été inspirés par le travail mené dans les Pays de la Loire. Nous nous sommes rapprochés. Nous cherchons à mutualiser avec d’autres structures régionales qui s’y mettent. Par exemple, nous avons organisé en mai un webinaire sur le pilon, avec des participants de toute la France. La mutualisation est une pratique essentielle quand on parle d’écologie du livre. 

Que peut-on faire, métier par métier ?

Côté éditeurs et imprimeurs, on peut choisir le bon tirage, éviter de pilonner, relocaliser l’impression pour redynamiser des emplois localement, veiller à la qualité du papier ou des encres. Mais ce n’est pas toujours simple. Par exemple, la filière imprimerie est très opaque. Il est difficile de connaître l’origine ou la valeur éthique du papier : le bois, la pâte à papier, les pigments pour les encres…

Les libraires peuvent développer la seconde main. Certains libraires collectent des tote-bags inutilisés auprès de leurs clients et les réutilisent en emballages. La grosse question pour eux c’est celle du transport et de la bibliodiversité, face à la sur-représentation des gros éditeurs. Difficile pour eux de bien connaître les petites maisons d’édition proches. Il faut les aider à mieux appréhender le paysage de l’édition locale ou régionale. 

Les bibliothèques s’emparent surtout de l’écologie matérielle. Elles sensibilisent au zéro déchet, proposent des grainothèques ou bouturothèques, elles font travailler les libraires du territoire, elles réfléchissent aux emballages. Elles peuvent aussi actionner le levier de la bibliodiversité avec des éditeurs indépendants. Cependant elles sont pour certaines contraintes par les règles de marchés publics, ce qui rend parfois impossible d’inclure des préférences territoriales.

Elles peuvent aussi se questionner sur leur bilan carbone, car comme pour une librairie, la venue des lecteurs a un impact en CO2. Donc plus on va à leur rencontre, plus on peut le réduire. Mais la Normandie propose déjà un réseau très dense de bibliothèques notamment en secteur rural.

Les auteurs ont potentiellement un des poids les plus forts. Si ensemble ils refusaient ne serait-ce que les conditions de rémunérations de l’économie du livre… Ensemble, ils peuvent bouleverser la chaîne. La charte des auteurs et illustrateurs jeunesse est un exemple parlant de représentation collective efficace. Elle a pu faire bouger les lignes sur la rémunération des auteurs intervenant en milieu scolaire ou sur des salons… C’est la preuve qu’en s’organisant, ils peuvent avoir un poids. Elle prépare un guide à destination des auteurs sur les questions d’écologie du livre.

Les auteurs peuvent aussi militer pour que leurs livres ne soient pas produits n’importe comment. Par exemple refuser un pelliculage sur la couverture, procédé écologiquement peu vertueux. 

Chez les organisateurs d’événements, beaucoup de choses peuvent être envisagées.

Logistique, réutilisation de matériel ou de stand, chauffage… L’écologie sociale, en travaillant avec des acteurs du territoire, ou la bibliodiversité. Ils peuvent chercher à mutualiser avec d’autres événements, mêler les temps événementiels avec des temps de création, proposer une résidence d’écriture aux invités et des temps de rencontre avec les scolaires, comme le Salon Epoque peut le faire. 

Où en est la charte pour l’écologie du livre en Normandie portée par Normandie Livre & Lecture ?

Aujourd’hui, 10 professionnels y adhérent. Des bibliothèques s’apprêtent à nous rejoindre. On n’a pas encore de manifestation littéraire adhérente, mais on en est qu’au début. Nous attirons aussi des profils atypiques, comme une autrice agricultrice originaire de la Manche qui s’auto-édite et vend ses livres sur les marchés avec ses fromages. C’est complètement dans le sujet de la relocalisation et de la proximité. La preuve que sur le sujet, tout peut s’imaginer, s’inventer. On a besoin de cette fraîcheur.

Comment fonctionne la boîte à outils que vous avez créée ?

Tout professionnel qui s’intéresse à la question accède à cette plateforme : une page web sur laquelle on accède à des documents ou ressources : chartes, guides, contacts… Les visites augmentent. Parmi les ressources très utiles, il faut citer aussi le blog de l’ABF, sur les bibliothèques vertes. 

Comment se situent les lecteurs sur le sujet ?

Normandie Livre & Lecture a conduit une enquête en 2021 auprès de 500 lecteurs, certes un public intéressé par la question, mais qui nous livre des enseignements précieux. Ils veulent plus d’information sur la fabrication, sur la rémunération des auteurs, les lieux d’impression, l’indépendance des éditeurs… À 89%, ils étaient favorables à un label qui valorise les professionnels engagés dans un écosystème plus durable, social et solidaire. C’est ce qui a motivé notre souhait de mettre en place notre charte.

 

Propos recueillis par aprim

[Questions à…] Marion Cazy, chargée de projets écologie du livre et événementiel à Normandie Livre & Lecture
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