« Le regard de l’autre accélère la légitimité »
Quelle était votre motivation de départ ?
« J’ai écrit mon livre sur mon AVC pendant ma première année de master. Mais quand je me suis inscrite, je n’avais pas de projet précis. J’avais besoin d’un espace, de temps. Mon AVC est survenu à la fin de mon master à l’EHESS. Après une année difficile, j’ai ressenti le besoin d’écrire, chose que je ne faisais pas au sens littéraire auparavant.
J’avais besoin d’un espace pour développer une écriture moins académique, une écriture de fiction. J’ai postulé à Toulouse et au Havre. Je suis tombée amoureuse de la ville et j’ai eu l’impression, en échangeant avec d’autres étudiants, que ce master proposait un accompagnement personnalisé d’un projet d’écriture. Très axé sur l’écriture et l’individualisation.
Vous écriviez beaucoup auparavant ?
Je suis juste arrivée avec l’enjeu de faire quelque chose qui puisse expérimenter une littérature de sciences sociales.
En quoi ces deux années ont accéléré votre processus créatif ?
Ça a accéléré le processus de définition du projet et d’écriture. Auparavant je ne me sentais pas légitime. Or là on écrit en aller-retour avec son écrivain référent, moi c’était Laure Limongi. Le regard de l’autre accélère la légitimité. On se dit qu’on n’est pas à côté de la plaque.
Dans mon cas, ça m’a protégé du découragement. On écrivait tous des choses différentes, et nos échanges entre étudiants je les ai vécus comme stimulants, pas du tout dans la compétition.
On a des moments de lecture à voix haute, là on est vulnérable à présenter des choses intimes. Certains vivent difficilement ces moments de partage. Moi ça m’a permis de passer d’un texte de l’ordre du journal intime à un objet littéraire qui puisse exister autrement. Ça m’a aidé à croire en ce que j’étais en train de faire.
D’une manière plus utilisatrice, de rencontrer d’autres écrivains permet de se créer un réseau, de voir comment fonctionne ce milieu, même si je me suis sentie livrée à moi-même au moment de la sortie de mon livre, bien que ma maison d’édition ait été très présente. Mais je crois qu’on n’est jamais préparé à cette expérience…
Quel est le rôle de l’écrivain tuteur ?
Laure Limongi, qui me suivait, m’a conseillé et aidé dans ma recherche d’éditeurs. Elle m’a fourni des contacts etc…
Est-ce un moteur pour découvrir son style ou explorer d’autres styles ?
Quand je suis arrivée, je lisais pas mal de romans de fiction assez classiques. Je me suis confrontée à d’autres choses. Ce qui m’a amené à essayer des choses nouvelles. Ça permet d’oser.
Les workshops encadrés par des écrivains invités sont aussi des moments où l’on nous propose d’autres manières d’écrire, de poser un autre regard sur nos textes. Des ateliers sur la musicalité du texte, sur la mise en voix et le rythme, changent notre rapport à l’écriture. J’ai aussi en tête un workshop sur l’improvisation théâtrale, qui a changé aussi la perspective. C’est l’accumulation de toutes ces choses.
Intégrer une communauté ?
Oui, on vit un peu ensemble. On partage des textes, on entre un peu dans l’esprit des autres. Ça renforce le côté communautaire. Même si des sous-groupes se forment. Et puis tout le monde n’aborde pas ce master de la même façon.
Pour vous, c’était un tremplin ?
Pour certains c’est juste une parenthèse, sans l’objectif de devenir écrivain. Pour d’autres, c’est finir un cursus, ou un passage avant de se spécialiser sur un métier de l’édition. Tout le monde ne souhaite pas forcément continuer à écrire. Moi j’avais envie que ce soit un tremplin. Et je crois que ça l’a été dans mon cas, ça m’a aidé à produire quelque chose d’original, ce qui peut être un atout vis à vis de l’éditeur.
Le moment du jury peut-être aussi un tremplin, car dans le jury on a soit un éditeur, soit un critique littéraire et s’il y a coup de cœur, ils peuvent proposer un contrat, ou parler du texte, le pousser… Ce moment de présentation est riche, il y a un échange fort entre jury et auteur.
Ce master suscite-t-il un regard bienveillant des éditeurs ?
Je pense qu’il y a un côté séduisant des étudiants de ce master vis à vis des éditeurs, que ce soit Paris 8 ou Le Havre. On a quand même pas mal de cas je jeunes diplômés publiés dans les cinq années qui suivent, parfois très rapidement après leur sortie. Je suppose que pour certains éditeurs, il y a l’attrait de découvrir de nouvelles plumes…
Votre livre Et au milieu ça fait des nœuds a été écrit au Havre ?
Ce livre je l’ai écrit pendant ma première année, mais ce n’est pas mon projet de fin de master, qui lui est tout à fait différent. Le projet de ma deuxième année, présenté au jury, a été présenté aussi à Autrement (éditeur du premier). Je suis en discussion avec l’éditeur… En fonction de ses souhaits de retravail, je verrai si je le propose ailleurs.
C’est un sujet différent. C’est une double-enquête sur la disparition de ma cousine, à partir de photos de famille et des photos de Vivian Maier. Mon premier roman était une enquête sur moi. Là c’est plus photographique.
La suite ?
J’ai découvert l’écriture de scénario pour le cinéma. Je n’avais pas pensé à l’écriture pour le cinéma. C’est totalement différent. J’ai écrit un court métrage. Je complète ma boîte à outils. C’est passionnant. Je proposerai peut-être bientôt mes services pour écrire des scénarios. En tous cas j’ai envie de continuer à expérimenter.
J’aime écrire et animer des ateliers. Donc assurer des résidences d’écriture est une piste pour la suite. Et candidater pour des bourses d’auteur. »