Dix ans après sa création, le master Création littéraire du Havre continue
d’accroître son rayonnement. Ce cursus hors normes voit éclore de jeunes talents,
comme dernièrement Shane Haddad (Toni tout court, chez P.O.L), Camille Reynaud (Et par endroits ça fait des nœuds, chez Autrement) ou prochainement Zoé Cosson (Aulus, chez L’Arbalète/Gallimard). Est-ce pour autant un visa pour être édité ?
Laurent Cauville / aprim
Premier du genre en France à sa création en 2012 (1), le master Lettres Création littéraire du Havre est vite sorti de la confidentialité. Les 15 places à pourvoir chaque année suscitent aujourd’hui plus de 130 candidatures, de toute la France voire de l’étranger.
Un cursus pour apprendre à écrire un roman ? Ce n’est pas la promesse de ce master, assurent ses créateurs. « C’est avant tout un temps d’accompagnement à l’éclosion d’un projet, insiste le poète Frédéric Forte, à la tête du cursus depuis l’an dernier. Le master propose un environnement propice pour libérer une parole créative, stimuler, donner confiance. »
Creative writing à l’anglo-saxonne ?
À ceux qui pourraient craindre un « copier-coller » de techniques de creative writing à l’anglo-saxonne et un catalogue de formules prêtes à l’emploi, Frédéric Forte répond encore : « Ce master n’abreuve pas de recettes, mais il accompagne les potentialités créatives de ses étudiants, avec un suivi très personnalisé. »
Ses étudiants ? De jeunes auteurs, créateurs en pleine maturation, déjà porteurs d’un projet littéraire. Ils ont un désir profond d’écrire, d’être publiés, d’être écrivains. Ils sont triés sur le volet. « Sur les 139 candidatures reçues pour la rentrée 2021, 32 ont été retenus pour un entretien de présentation de leur projet et de textes personnels, complète Frédéric Forte. C’est pour nous essentiel de saisir une intention et une motivation. » Au bout de la sélection, il n’en reste que 15.
D’autres façons d’écrire
Pendant deux ans, l’accent est mis sur la pratique et la rencontre, notamment avec des professionnels, en premier lieu des écrivains. En plus d’enseignements littéraires théoriques et d’enseignements artistiques, le parcours propose beaucoup de temps d’écriture en ateliers, « avec des approches qui vont amener chacun à explorer d’autres façons d’écrire. Sans parler des master class, où ils rencontrent des professionnels du livre ». Deux années intenses, comme une suite d’expériences. Un bain stimulant, et les contraintes d’un calendrier serré...
« Le contraire du formatage »
Pour Shane Haddad, diplômée en 2020 et rapidement publiée chez P.O.L (lire par ailleurs), le master havrais a été un tournant. « Le cadre nous donne la légitimité d’écrire. C’est un vecteur de parole, donc de libération. » Une fenêtre ouverte aussi vers d’autres formes d’écriture ? « On ne nous donne pas d’outils tout faits. Éventuellement quelques conseils. C’est une mise en lumière de nos singularités. » Comme beaucoup d’autres étudiants, Shane Haddad a aussi apprécié la dimension collective, quasi communautaire du master. « Il y a une mise en dialogue de tous les étudiants. Cette diversité, c’est le contraire du formatage. »
Frédéric Forte renchérit : « Les étudiants doivent échanger sur leur travail. Untel fait de la poésie contemporaine, un autre a un projet romanesque. Quelquefois cela produit des détours ou des changements de direction et c’est magnifique. » Le pari est d’amener chacun à développer progressivement sa propre écriture. « Ce dispositif permet d’oser, et ça marche. Tous les genres sont permis, même les formes expérimentales, ce qui peut faire naître des objets inclassables. »
Un accompagnement et une fenêtre vers l’édition
Au fil de ce parcours intense, où chacun va chercher loin en lui, les occasions de se perdre sont nombreuses. Mais chaque étudiant est accompagné individuellement dans l’écriture de son projet littéraire par un écrivain référent. Lectures, échanges d’impression, conseils sur le projet. « Le référent est comme un transmetteur d’énergie et un repère, estime Frédéric Forte. Dans les moments difficiles, il est là aussi pour rassurer, rappeler que le doute est inévitable. »
Enfin, le cursus est aussi une fenêtre ouverte sur le milieu du livre. Un potentiel accélérateur de rencontres et l’occasion pour certains de se faire remarquer. Phénomène de la rentrée littéraire 2020, Fatima Daas (2), diplômée du master de Paris 8 (créé après celui du Havre), raconte qu’elle a rencontré son éditrice lors de sa soutenance. Pour Shane Haddad, « le fait d’avoir fait le master du Havre a clairement accéléré ma rencontre avec mon futur éditeur, parce qu’il a rapidement entendu parler du texte que j’ai présenté en fin d’études ».
« C’est notre rôle de favoriser, si on le peut, le lien avec un éditeur », résume Frédéric Forte, qui s’empresse d’ajouter : « Ce n’est pas un diplôme qui va séduire un éditeur, c’est la qualité du manuscrit que vous lui proposez. »
(2) Fatima Daas a publié La Petite Dernière (Notabilia, 2020).
« Pas un sésame pour l’édition »
« On nous demande parfois si ce diplôme revient à un passeport pour l’édition.
Je réponds non. Pour le monde du livre, les choses sont claires, un éditeur face à un manuscrit sans intérêt pour lui ne va pas le publier sous prétexte qu’il serait tamponné “Master”. Il n’y a, a priori, pas de plus-value à éditer un “diplômé”.
C’est dans le texte qu’est la qualité, l’éditeur écoute ses attentes et ses émotions. Simplement, de tels parcours de formation permettent à de jeunes auteurs d’explorer, de progresser et peuvent leur procurer une certaine exposition. »
Diplômées et publiées
Elles ont trouvé un éditeur sitôt leur diplôme obtenu en juin 2020.
Pour Camille Reynaud (Et par endroits ça fait des nœuds, Autrement, 2021) et Shane Haddad (Toni tout court, P.O.L, 2021), le master Création littéraire du Havre a été un tournant.
Devenues havraises, elles sont passées en quelques mois du statut d’étudiantes à celui d’écrivaines. En quoi ces deux années ont-elles compté pour elles ?
>> Lire l’intégralité des interviews de Camille Reynaud et de Shane Haddad
Un master unique en son genre
Le master Création littéraire du Havre a été créé en 2012, sous l’impulsion de Thierry Heynen, (directeur de l’ESADHaR [École supérieure d’art et design Le Havre-Rouen] de 2011 à 2021), avec Laurence Mathey, directrice aujourd’hui de l’option « Lettres » du master, Élisabeth Robert-Barzman et Élise Parré.
Laure Limongi (écrivaine, éditrice) a dirigé l’option « Création » de 2014 à 2020. Le poète Frédéric Forte lui a succédé.
Une dizaine d’enseignants l’animent tandis que d’autres professeurs de l’ESADHaR ou de l’université du Havre s’y intègrent dans le cadre d’échanges transdisciplinaires.
Des auteurs et autrices y enseignent durablement (aujourd’hui Nicole Caligaris et Frédéric Forte) ou à l’échelle d’une année (François Bon en 2012, Arno Bertina en 2013, Philippe Adam en 2014, Pacôme Thiellement en 2016…).
LE CURSUS en bref
- Master 1: tronc commun études littéraires et pratiques d’écriture, élaboration du projet de création littéraire dès le premier semestre, participation à des workshops…
- Master 2 : une année moins chargée en enseignement pour consacrer plus de temps au projet de création, à des séminaires et à des workshops.
>>> Le cursus complet sur : crealit.fr > rubrique Cursus
Double diplôme
Même si d’autres masters de création littéraire sont apparus depuis (1), celui du Havre reste unique en raison de sa cohabitation entre école supérieure d’art et université.
Une forte proximité concrétisée depuis cette année par un double diplôme unique en France. La formation permet en effet d’obtenir, en sus du master universitaire, un DNSEP (Diplôme national d’expression plastique) Art mention Création littéraire.
(1) Des diplômes similaires ont été créés à Paris 8, Clermont-Ferrand, Toulouse et Cergy.
Un répertoire des métiers du livre
Normandie Livre & Lecture a contribué à la réalisation du guide Formations aux métiers du livre, édition mise à jour cette année. Si les métiers du livre vous intéressent, ce guide est indispensable. Ce répertoire très complet recense les principales formations disponibles partout en France, la diversité des formations proposées ne permettant pas l’exhaustivité. Elles sont classées par niveaux de diplôme et par régions. Pour la Normandie, ce guide propose près de 30 formations, dont bien sûr le master Création littéraire du Havre.