« Il n’y a pas, a priori, de plus-value à éditer un diplômé. »
L’attractivité du master création littéraire du Havre est-elle de plus en plus grande ?
Oui. Nous avons reçu 139 candidatures en 2021, soit 48 de plus que l’année passée, de partout en France, mais aussi de plus loin, par exemple de Corée.
Comment se déroule la sélection et qui sont vos étudiants ?
Cette année, après étude des dossiers, nous en avons retenu 32 pour un entretien de présentation du projet littéraire, argumenté, et avec des extraits de travaux personnels. Certains candidats ont un projet déjà fort, qu’ils vont travailler pendant deux ans. Mais l’entretien nous sert aussi à saisir une intention, la capacité d’un candidat à parler de son travail et à projeter quelque chose.
Ce sont des jeunes gens en général même si on peut avoir des reprises d’études. La plupart ont 21-22 ans. Beaucoup ont un parcours en lettres modernes, mais on trouve aussi beaucoup de candidats sortis d’écoles d’art, intéressés par le fait que ce master soit porté par l’université et l’école d’art, avec le double-diplôme depuis cette année : un master universitaire et DNSEP art, mention « création littéraire ». C’est une première en France. Au final, nous en retenons 15, ce qui reste une petite promotion.
Est-ce que tous arrivent avec l’intention d’être publiés ?
Je pense que le désir profond de chacun est l’envie d’écrire, et le corollaire c’est que ce qui est écrit soit publié. On serait aveugle si on pensait que quelqu’un postule au master pour avoir un « boulot » à la sortie, non c’est pour essayer de concrétiser le rêve qu’il a d’être écrivain.
Mais ce n’est pas une finalité d’être publié aussitôt. Certains élèves ont la chance de l’être rapidement, comme Zoé Cosson, diplômée de 2020, qui publie son premier livre en octobre chez L’arbalète/Gallimard, ou Shane Haddad et Camille Reynaud. On peut aussi attendre six-sept ans. Les parcours varient en fonction du genre aussi, par exemple dans la poésie expérimentale, l’espace éditorial étant plus restreint, ça prend plus de temps.
En général, une fois que leur travail d’études est finalisé par la soutenance, validé par un jury, les étudiants commencent à envoyer les manuscrits. On peut avoir des romans, des recueils de nouvelles, tous les genres sont permis, c’est un cursus de création littéraire. Chaque année, les proportions varient. Cette année, on a beaucoup de romans, l’année prochaine, il est probable qu’il y en aura moins. Les étudiants issus d’écoles d’arts restent souvent dans le roman, mais ils arrivent avec des formes un peu hybrides, des textes en proses de l’ordre de la littérature un peu expérimentale, qui peuvent obliquer vers le roman, toujours contemporain, mais aussi vers des objets un peu inclassables.
Cet objet, cette œuvre, est lue et analysée par un jury, puis il y a la soutenance, en juin ? Comment se déroule-t-elle ?
Concrètement, ce sont 25 minutes de présentation et de lecture, sachant que l’étudiant a rendu en février une note d’intention qui équivaut au mémoire. L’étudiant peut donc mettre à jour sa proposition, mais il parle surtout de son travail. Ensuite le jury dialogue avec lui pendant 25 minutes, de manière exigeante, mais assez bienveillante.
Je dis toujours que dans le meilleur des cas, ça doit être une conversation, qui permet à l’étudiant de formuler des choses qu’il n’avait pas forcément vues. C’est vraiment un retour de lecteur, un lecteur qui a lu de manière très précise et poussée leur travail.
C’est très beau, touchant, c’est quelque chose de très important pour les étudiants. Depuis cette année, le jury est composé de cinq personnes, un représentant de la formation de l’école, un universitaire, un auteur ou une autrice, un éditeur ou une éditrice et un spécialiste du monde littéraire. L’idée est vraiment de présenter un travail aboutit lors de la soutenance.
L’accompagnement est une notion essentielle du cursus. Quel est le rôle du référent ?
Chaque professeur référent accompagne plusieurs étudiants. C’est une sorte de lecteur privilégié, qui reçoit à intervalle régulier un état de leur travail, et en fait un retour écrit et oral.
Le référent est comme un transmetteur d’énergie, un repère capable de conseiller. Mais les étudiants restent libres de leurs choix, et peuvent prendre également d’autres avis. Dans les périodes de doute, il essaye aussi d’expliquer que c’est inhérent au travail de créateur, d’artiste, et qu’on vit avec toute sa vie. Ce n’est pas lié à leur jeunesse.
Le fait que les référents soient souvent des écrivains permet notamment de les rassurer là-dessus. Dans la création, la déception peut se nicher à toutes les étapes.
La notion de groupe, de communauté d’étudiants est-elle essentielle dans ce parcours ?
Oui. Chaque promotion compose une vraie communauté et c’est au cœur du projet.
Les étudiants dialoguent beaucoup, s’apportent mutuellement. Untel fait de la poésie expérimentale, un autre a un projet romanesque. Quelquefois cela produit des détours ou des changements de direction. C’est magnifique. Mon rôle c’est justement de favoriser tout ça.
Que répondez-vous à ceux qui voient dans ce master un « diplôme d’écrivain » ?
Pour le milieu littéraire, pour les auteurs, les éditeurs, je crois que c’est clair. Un éditeur face à un manuscrit sans intérêt pour lui, ne va pas le publier sous prétexte qu’il serait tamponné « master ». Il n’y a, a priori, pas de plus-value à éditer un « diplômé ». C’est dans le texte qu’est la qualité, l’éditeur écoute ses attentes et ses émotions. Simplement, de tels parcours de formation permettent à de jeunes auteurs d’explorer, de progresser et peut leur procurer une certaine exposition.
Ce n’est donc pas comparable avec la culture anglo-saxonne, qui donne beaucoup de technique ?
Non du tout, ce sont les étudiants, les jeunes auteurs qui créent leurs outils, qui développent leur écriture et explorent des choses. Alors bien sûr ça n’empêche pas les conseils, les échanges, mais l’idée n’est pas de donner une méthode pour écrire un roman qui va être publié à coup sûr.
On travaille comme un laboratoire. Par exemple cette année, nous avons lancé une web radio. Les étudiants ajoutent ce qu’ils veulent à leur boîte à outils. Toutes ces expériences font des déclics, ils découvrent des manières de faire qu’ils n’avaient pas envisagées.
Et pour vous, à titre personnel ?
Toutes les expériences que les étudiants peuvent vivre, ce sont des expériences que nous les enseignants nous vivons aussi. J’apprends des choses, ça me stimule dans mon travail et ça continue à me garder vivant en tant qu’écrivain, même si cette activité réduit mon temps disponible pour l’écriture. »