« Une littérature qui défait tous nos clichés sur la Scandinavie »
À la tête de la librairie Ryst depuis 6 ans, Arnaud Coignet co-anime les rencontres d’auteurs organisées pendant le festival des Boréales à la bibliothèque Jacques Prévert de Cherbourg. En observateur avisé, il nous parle de l’intérêt soutenu des Normands pour la littérature nordique et analyse les raisons de cet engouement.
Il y a-t-il une sensibilité des lecteurs normands pour la littérature nordique ?
Vu de Cherbourg, cela ne fait aucun doute. Dans le Cotentin, les racines scandinaves se prolongent dans l’onomastique et la toponymie, et l’on rencontre des gens qui se disent volontiers vikings. Cela relève sans doute un peu du folklore, mais au moment du festival, les lecteurs ont une vraie curiosité pour les livres que nous mettons en avant dans notre rayon littérature étrangère. Et le public assiste en nombre aux rencontres d’auteurs programmées à la bibliothèque Jacques Prévert que j’anime avec Véronique Merlin, bibliothécaire en charge des fonds fictions adultes.
D’où vient cet intérêt ?
La littérature nordique captive les lecteurs parce que c’est une littérature étrangère - et parfois étrange. Elle décrit souvent des pays enclavés, des communautés qui ont vécu isolées dans une nature belle mais rude. Elle nous parle d’un monde différent, certes, mais ce monde est confronté aux mêmes problématiques que le nôtre, c’est-à-dire le passage d’une société traditionnelle à une société de consommation, l’entrée dans l’ère numérique... Elle en parle librement et de manière très frontale. En revanche, cette littérature témoigne d’un rapport très différent au territoire, à la nature, au religieux, à la vie et à la mort. Elle défait tous nos clichés sur la Scandinavie.
Derrière ces clichés et l’exotisme des régions septentrionales, il y a aussi une actualité géopolitique...
C’est vrai. Certains pays sont longtemps restés en marge de l’Europe, comme en périphérie du continent. Entrées tardivement dans l’Union européenne, la Suède et la Finlande frappent aujourd’hui aux portes de l’Otan.
Le festival des Boréales fête cette année ses 30 ans. Au-delà de sa longévité, qu’a-t-il de si particulier à vos yeux ?
Les auteurs sont accueillis avec beaucoup de convivialité. C’est sans doute ce qui distingue les Boréales avec la richesse de ses rencontres. Les libraires auraient beaucoup de mal à faire venir de leur propre initiative des auteurs non-francophones et leurs traducteurs. J’éprouve moi-même cette difficulté. Grâce au festival, le public peut découvrir des auteurs islandais, estoniens, norvégiens..., mais aussi la musicalité de langues que nous n’avons pas l’habitude d’entendre. C’est pour cela que nous demandons aux auteurs de nous lire un passage de leur livre en version originale.
Est-ce que la littérature est toujours au centre de ces échanges ?
Pas uniquement la littérature. J’ai le souvenir Lilya Sigurðardóttir qui a beaucoup parlé du contexte économique en Islande. Ou d’Erik Fosnes Hansen évoquant la situation de l’édition en Norvège et la manière dont elle est soutenue par le gouvernement. Certains auteurs ont une approche très politique des choses et replacent leur travail d’écrivain dans le contexte plus large d’une société confrontée aux enjeux socio-économiques ou géopolitiques. Bergsveinn Birgisson (La lettre à Helga, Du temps qu’il fait), a décrit devant le public comment la société traditionnelle islandaise s’est trouvée modifiée par la présence américaine depuis la Seconde Guerre mondiale. Ces rencontres nous révèlent un peu plus qu’une simple connaissance livresque d’un pays.
Quelles ont été pour vous les rencontres les plus marquantes ?
Je pense immédiatement à Erik Fosnes Hansen, justement. Le personnage est rude mais j’ai beaucoup aimé son roman Une vie de homard qui décrit ce passage vers la modernité dans une Norvège des années 80. Mais aussi Tiit Aleksejev, romancier et dramaturge estonien, auteur du Pèlerinage, un récit sur la première croisade en Terre Sainte.
Propos recueillis par Aprim
Arnaud Coignet a été interviewé pour le dossier « Boréales, Années lumières ».
Lire l’intégralité du dossier « Boréales, Années lumières » publié dans Perluète #11
Retrouvez les interviews des autres acteurs du dossier in extenso :
- Jérôme Rémy, directeur artistique du festival Les Boréales
- Des professionnels témoignent pour les 30 ans des Boréales (Éric Boury, Björn Larsson, Christian Bank Pedersen, Mylène Bouchardet Laurent Martin)