Trois personnes détenues nous parlent de leur rapport à la culture

de l’autre côté du mur qui les sépare de leur vie d’avant.

« Des moments de partage »

« Je participe à toutes les activités possibles. C’est une ouverture d’esprit et ça peut aussi m’aider pour mon projet de réinsertion : créer une petite ferme écologique… J’ai dû participer à une cinquantaine de projets : arts plastiques, concerts, comédie musicale, théâtre. J’ai aussi appris la musique : guitare, piano, trompette, percussions. J’ai commencé à apprendre juste après mon jugement, pour faire quelque chose de vraiment bien. Je joue dans un groupe et j’ai participé à la création d’un album.

J’ai découvert la littérature, avec des intervenants extérieurs, comme cet ancien boxeur devenu écrivain. Je me suis mis aussi à écrire, suite à un super atelier d’écriture. Ça me passionne de plus en plus. J’écris aussi de la chanson et de la poésie, même si j’en lis assez peu.

Même chose pour la lecture : il n’est jamais trop tard, et là je me rattrape. (Rires.) Avec le projet Passerelle(s), j’ai découvert des livres, et faciles à lire.

Tout ça aide à se sentir mieux. C’est une façon de se cultiver et une activité sociale… Les ateliers d’arts plastiques, par exemple, sont des moments de partage formidables et on en a besoin en détention. »

JH, détenu à Val-de-Reuil

« Ça fait du bien d’avoir un écho extérieur »

« J’ai découvert beaucoup d’activités en détention, et ça m’a beaucoup plu. Avant je n’osais pas parler devant les gens. Des activités comme le théâtre ou la danse m’ont aidée. En sortant, je crois que je retournerai voir des pièces ou que j’irai à l’Opéra…

En cellule, je dessine aussi beaucoup, je regarde des documentaires. Je suis aussi auxiliaire-bibliothécaire. Ça me fait un bien fou, je me sens utile. J’aime les biographies et les histoires vraies. Je me rappelle un livre qui a été comme un déclic par rapport à mon vécu. Il m’a apporté beaucoup.

Ces activités artistiques aident à mieux supporter la détention, c’est sûr. Quand je m’y inscris, c’est aussi pour rencontrer, pour apprendre, sortir de la cellule. J’ai fait de belles rencontres avec les gens du théâtre de Caen, de l’Opéra… Le lien avec l’extérieur est essentiel. À la fin d’une activité, j’ai envie de recommencer. »

Florence, détenue à Caen

© Cyrille Ternon

« Quand on est ému, la cuirasse s’ouvre »

« La culture en prison, c’est une ouverture, un lien avec l’extérieur… Je me suis mis à la musique et au théâtre en prison : deux disciplines majeures occuperont ma vie, désormais. Si je ne peux pas faire de théâtre, je lirai des pièces et je me les jouerai dans la tête. J’ai la chance d’avoir des livres et des instruments de musique dans ma cellule, donc je ne m’ennuie pas… J’ai lu jusqu’à cinq livres par semaine. J’ai eu ma période scientifique. Là, je suis revenu au roman. Je suis attaché au style plus qu’à l’histoire. Mes auteurs fétiches : Hermann Hesse, Umberto Eco, Jean d’Ormesson, et au-dessus de tous Boris Pasternak. Il m’emporte, j’ai l’impression de ressentir ce qu’il nous montre.

Je m’inscris aux activités pour m’élargir l’esprit. Par exemple les tags, que je considérais avant comme une pollution visuelle, j’ai découvert leur dimension artistique, grâce à des intervenants. On a une vie pour se transformer, la culture permet ça.

Certains livres bouleversent. Certains artistes aussi, comme Dominique A, quand il est venu ici. Quand on est ému, la cuirasse s’ouvre. Et dans les livres ou la musique, il y a de quoi tituber. Ici, à Caen, on a des échanges avec les artistes, c’est des parcelles de vie que la culture fait entrer en prison.

La culture m’a sauvé. J’avais besoin de surpasser des complexes, de m’assumer. C’est tellement facile de se perdre en détention et de sombrer dans la prétention. La culture permet de rester humble. Ce qu’il nous reste à apprendre du monde, on l’aperçoit quand on se cultive. C’est une transition avant de reprendre la vie de dehors. »

Jean, détenu à Caen

 

« Le livre agit un peu comme un pansement »

« Il y a deux ans, j’ai pris le poste d’auxiliaire-bibliothécaire. J’ai découvert un métier passionnant. Je m’y sens utile. Je fais tout pour que la lecture ne soit pas une épreuve pour les détenus, mais un plaisir, une respiration. Je leur propose de nouveaux livres, en variant les genres. Je leur demande leur avis, j’évalue l’attractivité des ouvrages. En prison, pour beaucoup, 90 % du temps n’est qu’ennui. Avec la pandémie, tout le monde souffre encore plus, surtout depuis l’arrêt des activités et la fermeture des parloirs “unités de vie familiale”, qui déshumanise un peu plus l’incarcération. En 2020, je n’ai eu que deux visites, contre huit habituellement…

La bibliothèque est donc un rayon de soleil dans l’obscurité la plus totale. On dit du livre en prison que plus la situation est difficile, plus il est libérateur. Pour résumer, le livre agit comme un pansement à la souffrance qu’est l’univers carcéral. »

Une personne détenue auxiliaire-bibliothécaire, au centre pénitentiaire du Havre

 

Merci aux coordonnateurs culturels des établissements pour le recueil de ces témoignages.

Lire l'intégralité du dossier La culture fend les murs publié dans le Perluète #07.

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