Voyage dans la maison d’un intellectuel humaniste du XIXe siècle

Dans une atmosphère très XIXe siècle, la maison de l’écrivain Alfred Canel, à Pont-Audemer, invite à découvrir un grand intellectuel humaniste de son époque.

Au gré de collections variées et très riches, le reflet du parcours d’un homme, cultivé, passionné et collectionneur.

Agnès Babois et Cindy Mahout

Alfred Canel est né le 30 novembre 1803. Avocat, rentier, adjoint puis maire de la ville de Pont-Audemer, député à l’Assemblée constituante, acteur de la vie sociale de sa ville, mais aussi membre de sociétés savantes, historien, bibliophile et écrivain, Alfred Canel est à la fois un esprit philanthropique et universel.

Très versé dans la connaissance de l’histoire et des antiquités de la Normandie, il a laissé un nom estimé, comme historien et archéologue. On a de lui un très grand nombre de mémoires et d’études sur les antiquités de la Normandie, et ses talents d’écrivain qui analyse les faits et coutumes de la Normandie nous ont livré plusieurs écrits, dont certains signés sous les pseudonymes de « Jérôme Pointu » et de « Jean Chouart ».

Collectionneur et partageur

De 1835 à 1837, il dirigea la Revue historique des cinq départements de la Normandie et écrivit un grand nombre d’articles dans le Journal de Pont-Audemer, la Revue de Rouen et les Mémoires de la Société des antiquaires de Normandie, à laquelle il appartenait.

Il fonde la bibliothèque municipale de Pont-Audemer en 1836, dont il est le bibliothécaire jusqu’en 1852, et commence à constituer, à la fin de sa vie, des collections muséales.

Il est nommé chevalier de la Légion d’honneur en 1876.

À sa mort, en 1879, il fait don à la ville de Pont-Audemer de ses collections, de ses livres, de pièces de mobilier, de rentes et de son hôtel particulier, où ont été ainsi installés, en 1884, la nouvelle bibliothèque municipale et le musée, qui s’y trouve encore aujourd’hui.

La grande bibliothèque

La grande bibliothèque, dont le caractère du XIXe siècle a été préservé, est une salle qui captive le visiteur. Elle conserve un fonds généraliste de 9 000 livres, couvrant la période du XVe au XIXe siècle.

Bibliophile averti et bibliothécaire consciencieux, Alfred Canel s’est attaché à réunir des livres de grande valeur éditoriale, littéraire ou documentaire. Parmi ces ouvrages, des manuscrits, des incunables (livres imprimés entre 1455 et 1500) ou encore des livres emblématiques du XIXe siècle.

Sont conservés, entre autres, une édition de l’Encyclopédie de Diderot et d’Alembert, la Description de l’Égypte commandée par Napoléon Ier, ou encore le manuel d’arithmétique de monseigneur le duc de Berry, petit-fils de Louis XIV.

La bibliothèque normande

La passion de l’histoire et de la littérature a conduit Alfred Canel à collecter un fonds consacré à la Normandie (5 550 livres et 50 cartes et plans), qu’il a légué à la ville de Pont-Audemer. Six mille livres sur l’ancienne province normande provenant du fonds de la bibliothèque municipale ont rejoint ce premier ensemble, pour former au sein du musée Alfred-Canel une bibliothèque de renom.

Le cabinet de travail

Pièce maîtresse de la maison de l’écrivain, le cabinet de travail d’Alfred Canel offre de belles boiseries aux odeurs de cire. Le bureau à gradins laisse entrevoir l’importante correspondance de l’homme politique mais aussi celle de l’homme de lettres, comme en atteste une missive de Gustave Flaubert, ainsi que ses échanges avec des personnalités intellectuelles et politiques régionales.

La galerie des arts et des sciences

Cette galerie aux proportions monumentales a été aménagée au XIXe siècle pour recevoir les collections du musée cantonal. Ces institutions de province avaient pour vocation de « moraliser par l’instruction, charmer par les arts et enrichir par les sciences ». Dans cet esprit, la galerie des arts et des sciences déploie des collections de beaux-arts, d’archéologie locale, de sciences naturelles et d’industrie.

La partie contemporaine

Lors de la rénovation du musée dans les années 2000, un nouvel espace d’exposition a été créé. Cet espace moderne alterne des expositions à caractère patrimonial et la présentation d’œuvres d’artistes contemporains. Cette ouverture du musée vers l’art contemporain prolonge le dialogue entre les arts et les disciplines scientifiques, fidèle à l’esprit de son créateur Alfred Canel.

Un trésor de 20 000 livres

La réunion des fonds généraliste et local de la bibliothèque municipale et de la collection personnelle de livres qu’Alfred Canel a léguée à la ville porte à 20 000 le nombre de livres conservés au musée, dont certains sont particulièrement remarquables.

© C. Mahout
Le fonds ancien de la bibliothèque municipale

Alfred Canel a réuni des livres de grande valeur éditoriale, littéraire ou documentaire. Il constitue le premier fonds consacré aux sciences, aux religions, aux sciences humaines et à la littérature. Ce fonds généraliste contient désormais plus de 9 000 ouvrages, dont des manuscrits et incunables, datant du XVe au XIXe siècle. Six mille livres sur la Normandie forment le fonds local, propre à toute bibliothèque municipale.

Le fonds Canel

Pendant cinquante ans, Alfred Canel s’est constitué une bibliothèque personnelle en s’attachant à rassembler tout document qui lui servirait à écrire l’histoire normande. L’originalité de ce fonds, riche de 6 000 imprimés, est sa formidable collection de documents graphiques : plans, cartes, relevés d’architectes, projets de développement pour les trains, les voies d’eau, les ports concernant l’ensemble de la Normandie depuis le XVIe siècle jusqu’au milieu du XIXe.

Bibliographie (non exhaustive)

  • Lettres sur l’histoire de Normandie pendant la deuxième moitié du XIV e siècle, Pont-Audemer, Impr. Lecomte, 1835 ;
  • Recherches sur les jeux d’esprit, les singularités et les bizarreries littéraires, principalement en France, Évreux, A. Hérissey, 1867 ;
  • Recherches historiques sur les fous des rois de France, Paris, A. Lemerre, 1873 ;
  • Histoire de la ville de Pont-Audemer, 2 vol., Pont-Audemer, Impr. administrative, 1885 ; rééd. Brionne, G. Monfort, 1980.

Musée Alfred-Canel

64, rue de la République – Pont-Audemer
Tél. : 02 32 56 84 81
Ouverture d’octobre à avril (mercredi,
vendredi de 14h à 18h ; samedi, dimanche
de 10h à 12h30 et de 14h à 18h)
www.ville-pont-audemer.fr/culture/musee-alfred-canel/

Enquête sur les fous des rois

© Gallica.bnf.fr / BnF
Curieux et passionné par l’imagerie du Moyen Âge, Alfred Canel s’est livré à une exploration ambitieuse des fous des rois de France.

Canel écrit essentiellement sur la Normandie. Entre sciences, histoire et archéologie, son intérêt se porte sur les coutumes et l’analyse des pratiques normandes. C’est sans doute pour cette raison qu’il aborde avec perspicacité un sujet plus royal lorsqu’en 1873 il tente de percer les mystères du personnage du fou des cours de France. Il commence par les origines antiques connues de la figure, en retraçant les premières études. Il va cependant au-delà, cherchant à découvrir quand et pourquoi le rire est si présent en France, dès l’apparition du christianisme.

Son analyse légitime le rire en contrepoids à la noirceur du Moyen Âge. L’homme vit au présent sans regarder le lendemain, c’est pourquoi, spontanément, il rit ! Canel définit aussi le fou comme amuseur, au même titre que le jongleur. Il le replace dans le contexte plus large de l’entourage des rois en recherche d’extraordinaire, d’exotisme, voire de monstruosité.

Canel repère les fous dans l’histoire de la royauté lors du récit d’une farce, d’un paiement ou de la confection d’un habit. Au fil du temps, il extrait les noms de Seigni Johan le fol, probablement de l’entourage de Philippe de Valois et mis en scène par Rabelais dans Pantagruel, ou de Micton, fou de Charles le Sage. Il dresse la liste de tous leurs noms, jusqu’à leur disparition au profit des bouffons, à partir des XVIIe et XVIIIe siècles. La moquerie devient alors un art et l’esprit éclipse la facétie.

Puis, Canel aborde les conditions, attributs et costumes des fous. À la fois moqué et admiré, le fou jouit d’une grande liberté, de tout dire et de tout faire, entre sagesse et irrévérence. Il est décrit avec un chaperon pointu garni de grandes oreilles, une jaquette, affublé d’une série d’attributs dont nous avons en mémoire les sonnettes bruyantes et les maracas. Cependant, Canel ne dispose d’aucune reproduction et termine son exercice par des extraits de textes et d’actes attribués aux fous.

 

Agnès Babois

 

>> Pour en savoir plus sur le site de la Bnf

[Patrimoine] Musée Alfred-Canel