Au bout d’un chemin, derrière le portail blanc, la maison est là. Les plus gidiens d’entre nous seront peut-être étonnés de cette façade toute en briques, en lieu et place de celle, toute blanche, décrite par Gide. Mais c’est là la seule modification qu’a connue la maison depuis sa construction en 1730. Le lieu, si fidèle aux souvenirs égrenés par Gide, happe le visiteur.
Agnès Babois et Cindy Mahout
André Gide est né à Paris en 1869 d’un père protestant cévenol et d’une mère issue d’une famille de riches drapiers protestants rouennais. Son enfance est marquée par une alternance entre des séjours chez sa grand-mère paternelle à Uzès et avec sa famille maternelle en Normandie : à Rouen, à La Roque-Baignard (14) et à Cuverville (76).
À la mort de sa mère, il conserve le château de La Roque-Baignard jusqu’en 1900 et s’en sépare avec regrets. Mais c’est à Cuverville, demeure du pays de Caux, qu’il passe l’essentiel de son temps et qu’il rédige une part importante de son œuvre.
D’abord propriété de la famille de Cuverville, le manoir a été acheté en 1828 par la famille maternelle de Gide, les Rondeaux. Madeleine Rondeaux, toute jeune propriétaire de Cuverville depuis le décès de son père, épouse en 1895 son cousin André Gide. Gide publie en 1891 son premier livre, Les Cahiers d’André Walter, et c’est en 1897, avec Les Nourritures terrestres, qu’il est remarqué. Commence une carrière littéraire dont les œuvres les plus marquantes sont L’Immoraliste (1902), Les Caves du Vatican (1914), La Symphonie pastorale (1919), Si le grain ne meurt (1921) et Les Faux-Monnayeurs (1925). Premier écrivain à entrer de son vivant dans La Pléiade avec son Journal (1939), il sera l’un des cofondateurs de La Nouvelle Revue française.
De 1895 à 1938, l’écrivain, qui était souvent venu, enfant, à Cuverville passer des vacances chez ses cousins, séjourne de longs mois chaque année dans cette maison. Paul Valéry, Jacques Copeau, Roger Martin du Gard et Alain-Fournier sont autant d’amis de Gide qui lui rendent visite l’été à Cuverville. À l’arrière de la maison, dans son intimité protégée, le jardin, auquel Gide accordait une grande importance, est resté le même. On imagine sans mal la vie qu’il menait ici, car cette maison est à la fois celle où il a beaucoup écrit et celle qu’il a si souvent décrite.
Si le grain ne meurt en fait le symbole de l’enfance perdue : « Le jardin de Cuverville, où j’écris ceci, n’a pas beaucoup changé. Devant la maison, le grand cèdre est devenu énorme, dans les branches duquel nous nichions et passions des heures. »
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Derrière la porte
Ce n’est pas sans émotion que le visiteur découvre tout au fond du parc, la « porte à secret », ou « porte d’Alissa », si reconnaissable au lecteur de La Porte étroite : « De l’autre côté du mur que troue, au fond du potager, une petite porte à secret, on trouve un bois taillis où l’avenue de hêtres, de droite et de gauche, aboutit. »
Dans ce roman, André Gide dépeint le jardin qu’il connaissait depuis son plus jeune âge et qu’il surplombe du regard depuis son bureau : « Derrière la maison, au couchant, le jardin se développe plus à l’aise. Une allée, riante de fleurs, devant les espaliers au midi, est abritée contre les vents de mer par un épais rideau de lauriers du Portugal et par quelques arbres. Une autre allée, le long du mur du nord, disparaît sous les branches. Mes cousines l’appelaient “l’allée noire” et, passé le crépuscule du soir, ne s’y aventuraient pas volontiers. » La porte est à la fois fictionnelle et réelle. Elle donne sur l’imagination de Gide, sur la forêt et sur la campagne avoisinante, où le visiteur reconnaît l’allée de hêtres sous lesquels Gide aimait tant se faire photographier.
Le château de Cuverville sera le refuge de Gide jusqu’à la mort de son épouse, Madeleine, en 1938. Il y compose une partie de son Journal, joue au tennis, reçoit ses amis de la NRF et jardine. « Des hellébores, des lys, des tigridias, me sont arrivés de Hollande. De sept heures du matin à six heures du soir, je n’arrête pas de m’occuper du jardin » (Journal).
André Gide reçoit le prix Nobel en 1947. Il meurt le 19 février 1951 à Paris. Sa dernière demeure sera normande. Gide repose dans le petit cimetière de Cuverville, près de son épouse.
L’autre bibliothèque de Gide
Si les manuscrits, les dossiers et la correspondance d’André Gide se trouvent en majorité à la bibliothèque Jacques-Doucet à Paris, la bibliothèque de Rouen a fait l’acquisition, en 2010, de sa bibliothèque personnelle. C’est une bibliothèque d’usage d’environ 5 000 volumes qui conserve de nombreuses dédicaces d’auteurs à l’intention de Gide. C’est aussi une bibliothèque de conservation de livres qu’il reçut, aux pages non coupées. Pourtant, elle n’est pas à l’image de celle qu’a connue Gide. Une partie a été vendue en 1925 et au fil des années à des collectionneurs. Elle demeure néanmoins le témoin de ses lectures. Parmi les pièces clés, une boîte à courrier contient sa correspondance abondante avec Marcel Drouin. Puis en 2011 et 2013, le fonds s’est enrichi de deux donations exceptionnelles de Philippe Monart, qui légua notamment une édition originale de Salammbô de 1863, une lettre autographe de Guy de Maupassant, des lettres manuscrites de l’auteur, des éditions limitées et un meuble de valeur symbolique : son pupitre d’enfant.
La Porte étroite, 1909
Si d’aventure vous passez par le manoir de Cuverville, lisez attentivement La Porte étroite. Partez à la découverte des lieux de Gide, de son enfance, de ses balades et de ses songes.
Sur fond de tragédie, les scènes se répètent dans les mêmes lieux pour animer le décor. Dans le détail du jardin, des allées et des marches se trouve l’autobiographie prétexte du roman. La description de la maison débute dès les premières pages, un peu triste et banale dans les souvenirs de Jérôme, personnage central du roman. Vous y trouverez pourtant la clôture, l’immense et belle bâtisse et ses fenêtres aux petits carreaux. À l’opposé, dans les scènes suivantes la nature est magnifiée. Parfois, les personnages déambulent par le bas jardin, la petite porte secrète, la petite vallée qui s’emplit de brume et le ciel qui se dore au-dessus du bois plus lointain. Encore, le jardin, à l’arrière de la maison, sert de cadre intime à la lecture de Jérôme allongé dans l’herbe à l’ombre des grands hêtres pourpres. Au fil de la lecture, les pièces, lingerie, salon, chambres, s’ouvrent sur des saynètes décrites comme des tableaux où se joue l’image des sentiments. Ainsi, déambulez tranquillement dans l’univers poétique des lieux avant, après ou pendant la visite. Agnès Babois
>>> Pour aller plus loin
http://fondation-catherine-gide.org/actualites/la-bibliotheque-dandre-gide-rouen
http://rnbi.rouen.fr/fr/page-descriptive/fonds-littéraires
http://rnbi.rouen.fr/fr/video-youtube/conférence-gide-à-rouen-par-frank-lestringant
http://e-gide.blogspot.com/2011/07/la-bibliotheque-gide-rouen.html