Sa réputation précéda souvent son œuvre. Le personnage, dandy corseté et fardé, fut volontiers dessiné par les caricaturistes de l’époque et brocardé pour ses opinions, jugées tour à tour démodées ou excentriques.
Dossier rédigé par Cindy Mahout et Agnès Babois
© Gravure sur bois par Pierre-Eugène Vibert

Jules Amédée Barbey d’Aurevilly est né le 2 novembre 1808 à Saint-Sauveur-le-Vicomte dans la Manche. Il grandit dans une maison familiale ayant appartenu à son grand-père maternel à laquelle il restera très attaché et qui abrite depuis 1989 le musée Barbey d’Aurevilly.

Au rez-de-chaussée, le visiteur explore l’univers de l’écrivain grâce à de riches collections de manuscrits autographes, ornés de dessins et d’annotations de l’auteur (Une histoire sans nom, Une vieille maîtresse...), de très belles éditions originales (L’Ensorcelée, Les Diaboliques...), de peintures et photographies. On découvre alors un personnage aussi intrigant par sa vie que par son œuvre.

D’une vie de dandy menée à grands frais à Paris dans les années 1830 et en rupture avec les siens pendant vingt ans, Barbey d’Aurevilly opérera dans les décennies suivantes une conversion intellectuelle, revenant au catholicisme dur et au royalisme le plus intransigeant, que lui avait inculqués sa famille.

Buste Barbey d'Aurevilly
© Agnès Babois

Les contradictions d’Aurevilly

En 1851 paraissent Une vieille maîtresse et les Prophètes du passé, œuvres très contrastées qui font scandale et étonnent la critique : on comprend mal que le même écrivain livre en même temps un pamphlet catholique et monarchiste et un roman de mœurs aux pages sensuelles et passionnées.

On pointe ici du doigt les contradictions inhérentes au personnage d’Aurevilly : « Libertin, satanique, absolutiste, ultramontain, iconoclaste, voluptueux, ascétique, byronien, maistrien…, d’Aurevilly fut bien tout cela » (Arnould de Liedekerke).

Il mène de front une carrière de critique littéraire, particulièrement acerbe envers des grands noms de son époque (Hugo, Flaubert, Zola...) et prend des positions politiques et moralistes qui le font exclure de nombreuses revues.

En 1856, l’écrivain se réconcilie avec sa famille, ses séjours dans le Cotentin sont de plus en plus fréquents, notamment à Valognes (« la ville de ses premiers songes et de ses deniers rêves ») entre 1872 et 1887. C’est là qu’il achèvera Les Diaboliques (1874), dans lequel l’insolite et la transgression plongent le lecteur dans un univers ambigu, et qui a valu à son auteur d’être accusé d’ « outrage à la morale publique et aux bonnes mœurs ». Il obtiendra un non-lieu, mais le livre sera retiré de la vente.

L’étage de la maison a conservé ses cheminées, son pavage et ses lambris, permettant de reconstituer l’atmosphère de l’époque. De nombreux objets personnels sont exposés ainsi que l’impressionnante correspondance de l’écrivain avec de grandes figures de son temps.

Une carte nous permet de découvrir les lieux qui ont inspiré ses œuvres. Pas d’écrivain plus normand, il incarne l’âme même de cette région à laquelle il resta fidèle. Ses œuvres évoquent ses paysages, ses coutumes, son histoire et nous entraînent du nord au sud de la Manche.

1887 marque l’année de son dernier séjour à Valognes. Barbey d’Aurevilly décède le 23 avril 1889 à Paris, ses restes sont transférés à Saint-Sauveur-le-Vicomte en 1926.

Au sortir du musée, on repense à ces mots de Remy de Gourmont : « Il est probable que Barbey d’Aurevilly excitera longtemps la curiosité, qu’il restera longtemps l’un de ces classiques souterrains qui sont la véritable vie de la littérature française. »

Cindy Mahout

Les Diaboliques

Parmi les œuvres de Barbey d’Aurevilly, il en est une qui illustre son écriture sombre et énigmatique – Les Diaboliques. Le recueil de six nouvelles, commencé en 1850, ne sera achevé et publié
en intégralité qu’en 1873.

Dans ses nouvelles, les femmes sont au centre du récit, elles ne s’expriment pas, nous les devinons, mystérieuses, mises en scène au fil des relations amoureuses. Elles sont le jeu des situations d’adultère, de meurtre ou de vengeance. Les chutes sont brutales, presque toujours inexpliquées, laissant le lecteur sans réponse. Les histoires de Barbey nous entraînent dans des « Ricochets de conversation », titre auquel il avait pensé à l’origine pour son recueil. Elles nous plongent dans une atmosphère de confidences troublantes et immorales. Elles nous révèlent aussi l’emprise de la religion chez Barbey, sa conception du mal et sa vision des femmes.

Le Bonheur dans le crime est l’une des plus célèbres des six nouvelles : une jeune femme, Mlle Hauteclaire Stassin, ravissante et experte en escrime, tombe amoureuse du comte Serlon de Savigny. Ils préparent un stratagème diabolique pour se débarrasser de l’ex-épouse du comte. Après cela, le couple vit heureux, sans la moindre culpabilité ; il devient même un modèle d’amour conjugal.

 

Agnès Babois

Le bonheur dans le crime (Les diaboliques)
Le Bonheur dans le crime (Les Diaboliques) © Agnès Babois 
Valognes, Bibliothèque municipale, A 1525. Paris, La Connaissance, 1920. Tirage unique à 125 exemplaires, exemplaire n° 113. 66 p., 29 cm, 12 eaux-fortes en couleurs d’Armand Rassenfosse.

Achevé d’imprimer par Pierre Dykmans, maître-imprimeur à Bruxelles pour la maison d’édition à l’enseigne La Connaissance, sise à Paris, 9, galerie de la Madeleine, le 15 novembre 1920.

La bibliothèque de Valognes

Fondée en 1719 par l’abbé Julien de Laillier, curé de Valognes et supérieur du séminaire, la bibliothèque de Valognes a d’abord été installée au séminaire de la ville. Enrichie à la Révolution des fonds confisqués des bibliothèques des couvents des Cordeliers, des Capucins, du séminaire de Valognes et des Augustins de Barfleur, elle a occupé pendant quelques années l’ancienne chapelle du séminaire avant d’être transférée dans les locaux actuels en 1853. Ce bâtiment a été construit vers 1830. Il était prévu d’y faire une salle des fêtes. Mais cette salle était sous-employée. Elle fut donc utilisée pour accueillir la bibliothèque riche de plus de 20 000 ouvrages, dont 200 incunables. La bibliothèque conserve aussi un fonds d’imprimés d’essais, de romans de Jules Barbey d’Aurevilly mais aussi colloques, études et livres sur l’auteur. Constitué au gré des dons et des achats de la ville, ce fonds particulier comprend aujourd’hui une trentaine d’éditions. 

Agnès Babois

La bibliothèque de Valognes
© Agnès Babois

Musée Barbey d’Aurevilly

Ce musée municipal fait partie du réseau des « Musées de France » et a reçu en 2011 le label « Maison des illustres ».

Musée Barbey d’Aurevilly
© Agnès Babois

64, rue Bottin-Desylles - 50390 Saint-Sauveur-le-Vicomte

02 33 41 65 18

Jours et horaires d’ouverture : museebarbey.wixsite.com/museebarbey

[Patrimoine] L’insondable Barbey d’Aurevilly