Ses deux premiers recueils, dont Configures, paru au printemps dernier, ont été très remarqués. Entre littérature et expérimentation, sérieux et autodérision, quotidien et sublimation, Typhaine Garnier nous sert des vers au vitriol, refusant de laisser la poésie s’engourdir dans le formol. Rencontre.

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Vous faites preuve d’une grande inventivité au niveau de la langue. Ainsi, dans votre dernier opus, Configures, on retrouve de multiples références littéraires. Vous jouez aussi avec la graphie du texte (certains poèmes sont disposés en colonnes lisibles horizontalement et verticalement, ce qui crée des doubles sens de lecture). Quelles sont vos sources d’inspiration ?

Il y a d’abord l’influence profonde, infusante, des auteurs qui m’ont donné l’envie d’écrire, comme Jarry, Rimbaud, Beckett, Céline, Ponge, Maurice Roche, Arno Schmidt. Les poètes de la revue TXT (1), dont les œuvres très diverses ont en commun une conception de la poésie comme travail de la langue dans toutes ses dimensions (sémantiques, rythmiques, sonores, spatiales, historiques, sociales), m’ont aussi énormément marquée et libérée.

L’intertextualité est-elle partie prenante de votre processus d’écriture ?

On pense notamment à l’influence de Christian Prigent, qui fait partie de vos références littéraires et sur lequel vous avez plus particulièrement travaillé (mémoire de recherche) et qui est passé du statut « d’objet de recherche » à celui de co-écrivain.

Comme beaucoup, je crois qu’écrire est, pour une bonne part, réécrire, que ce soit un phénomène spontané (effet d’imprégnation) ou une pratique calculée. Massacres, mon premier livre, repose tout entier sur la réécriture de poèmes célèbres. Configures recycle des textes de Virgile, Ovide, Catulle, Sade et d’autres, mais aussi des matériaux non littéraires : recettes, conseils de jardinage, chansons, tableaux... tout peut servir, parce que le désir d’écriture tend à s’approprier toute forme d’expression passant à sa portée. L’étude de l’œuvre de Christian Prigent, notamment de ce qui y relève du grotesque (moyen de reconfiguration de l’expérience), a bien sûr énormément nourri mon travail. Mais Christian Prigent m’a aussi très vite incitée à creuser des voies qui me seraient propres. Puis il y a eu quelques travaux communs, dont l’écriture avec Bruno Fern de Pages rosses, paru en 2015. Un second volume paraîtra en 2022 aux éditions Lurlure.

Vous codirigez la revue TXT (avec Bruno Fern). En quoi le travail éditorial que vous faites pour cette revue nourrit-il votre œuvre ?

Un des objectifs de TXT, relancée en 2018 après vingt-cinq ans d’interruption, est la découverte de nouveaux auteurs. Ces écritures neuves appellent la réflexion sur la littérature, nos critères de lecture et nos propres pratiques. Car si c’est notre goût qui guide la sélection des textes, nous nous efforçons de justifier ces choix par une analyse critique des propositions. TXT forme aussi une communauté d’écriture : chaque numéro est ponctué de pages écrites à plusieurs, exercice offrant des respirations au travail solitaire de chacun.

"Le désir d’écriture tend à s’approprier toute forme d’expression passant à sa portée."

Pourquoi écrire et publier de la poésie en 2021 ?

Parce que tout n’est pas dit ! Et parce que demeure toujours la nécessité de « parler contre les paroles » (Ponge), c’est-à-dire de ne pas se contenter du prêt-à-parler – plus ou moins teinté de jargons médiatiques – qu’on enfile chaque matin et qui confine à une représentation étriquée du monde. La poésie, qui se constitue sur ce refus, tente de symboliser un rapport singulier du monde, ou plus exactement d’inventer par le travail de la langue un rapport au monde différent du rapport de nomination simple, utile à la vie pratique, mais pauvre et sans joie. Profitant du caractère incommensurable de la langue et du monde, la poésie introduit la distance, le plurivoque, le jeu de l’artifice : la liberté.

Propos recueillis par Cindy Mahout et Valérie Schmitt

(1) Dans sa première vie, de 1969 à 1993.

Bio express

Née en 1989, Typhaine Garnier a publié deux livres de poésie, Massacres et Configures, parus respectivement en 2019 et 2021 aux éditions Lurlure. Elle a également co-écrit, avec Bruno Fern et Christian Prigent, Pages rosses (Les Impressions nouvelles, 2015). Depuis 2018, elle fait partie du comité de rédaction de la revue TXT.

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[L’invitée] Typhaine Garnier – Jeux de mots