Toujours sur le fil entre une écriture sensible et frontale, Nathacha Appanah a construit depuis vingt ans une œuvre sans concession, où des destins se heurtent à des réalités qu’elle ne travestit pas « en les sucrant de mots ». Guidée une fois encore par « la voix du personnage », elle vient de publier son dizième livre, Rien ne t’appartient (Gallimard).
De nombreux prix jalonnent votre œuvre (lire par ailleurs), dont le dernier, le prestigieux Prix de la langue française. Ces prix modifient-ils votre perception de votre œuvre et influencent-ils votre écriture ?
Quand j’ai reçu le Prix de la langue française en novembre dernier, il est vrai que j’ai repensé à ce chemin d’écriture que je trace. Mon premier roman est paru en janvier 2003 – il y a vingt ans exactement – et j’ai pensé que ce prix, telle une guirlande, éclairait ce chemin-là, bordé de mes dix livres aux destins différents les uns des autres. Mais pour les autres prix, ils ont récompensé un livre en particulier et je les ai accueillis comme cela. Ils font plaisir, souvent vous émeuvent, parfois ils vous donnent l’illusion d’avoir fait de votre mieux. Mais ils n’influencent pas mon travail quotidien et l’ambition littéraire que je peux avoir pour un texte. Quand je termine un livre et que je commence un autre projet, j’ai toujours l’impression de ne rien savoir, de buter contre un mur et, prix ou pas prix, depuis vingt ans, ça ne change pas.
Vous avez une écriture sensible, parfois lyrique, qui contraste avec les sujets durs abordés dans vos romans. Comment parvenez-vous à trouver l’équilibre entre douceur de la langue et frontalité des propos ?
J’aime bien ce que vous dites : la frontalité des propos. J’aborde toujours mes romans de manière directe, je me documente, je cherche la précision, l’exactitude, je veux dire les choses comme elles sont et non pas les pervertir en les sucrant de mots ou en les diluant dans des longueurs. Et c’est souvent la forme de mes romans qui provoque cette écriture, on pourrait dire que c’est la voix du personnage. Un enfant ne décrit pas la mort de ses parents comme le ferait un homme adulte. Une femme aimée ne dit pas son amoureux comme une veuve. Je suis très attentive à cette partie de l’écriture : pourquoi le personnage parle comme ça, de quel endroit il parle et pourquoi maintenant... Il y a un équilibre là, entre prose et poésie, entre forme et fond, entre la frontalité et l’écho de cette frontalité.
On ressent des thèmes récurrents qui jalonnent vos livres :l’enfance, le deuil, la mémoire, le corps, la mort, la prison. Pourquoi ces thèmes en particulier ?
Je me rends bien compte que le temps et le nombre de livres publiés ont un effet de catégorisation sur moi. Il faut bien, n’est-ce pas, trouver un fil conducteur depuis vingt ans. Mais, même si je vois bien que je creuse un sillon, je ne crois pas être attachée à un thème. Ce que vous dites là : l’enfance, le corps, la mémoire (je pourrais rajouter l’amour, la transmission, les choix, l’empêchement), ne racontent-ils pas nos vies tout simplement ?
Vous avez voyagé et vécu dans de nombreux endroits. Le territoire a-t-il une influence sur votre écriture ?
Oh oui, et parfois le lieu surgit dans mon travail alors que je n’y vis plus. Comme s’il fallait du temps pour que ça infuse dans ma tête, dans mon imaginaire. C’est un décor, c’est une géographie, c’est un climat sur la peau, parfois c’est un coin de rue dont je me souviens avec une précision effrayante et parfois c’est en creux, c’est une vapeur. Ça m’apaise que tous ces endroits ne soient pas que des escales ; je les ai éprouvés vraiment.
Propos recueillis par Cindy Mahout et Valérie Schmitt
Bio express
Nathacha Appanah est née en 1973 à l’île Maurice. Journaliste de formation, elle a publié onze livres depuis 2003. Le dernier en date, Rien ne t’appartient (Gallimard) est sorti en 2021. Elle vit aujourd’hui à Caen. Révélée au grand public par Tropique de la violence (Gallimard), prix Fémina des lycéens 2016, Nathacha Appanah a obtenu bien d’autres distinctions littéraires : prix RFO du livre, prix Rosine-Perrier, prix du roman Fnac, prix Femina des lycéens, prix France Télévisions, prix du roman métis des lecteurs, prix Folio des lycéens et Prix de la langue française (en 2022), qui distingue « une personnalité du monde littéraire, artistique ou scientifique, dont l’œuvre contribue de façon importante à illustrer la qualité et la beauté de la langue française ».