photo de marie nimier
© Francesca Mantovani - Éditions Gallimard

Un rêve, une peur, une honte, un remords, une expérience cocasse ou sexuelle, un fantasme… Invitée en résidence dans une ville de province, l’auteure normande a recueilli, jour après jour, les yeux bandés, dans un appartement vide prêté par la mairie, ces témoignages anonymes. Avec Les Confidences, Marie Nimier signe une quarantaine de courtes nouvelles qui explorent l’intime et interrogent la notion de création littéraire. Natalie Castetz l’a rencontrée pour Normandie Livre & Lecture.

Vous avez écrit des romans, des contes, des chansons, des textes pour le théâtre. D’où est venu le désir d’écrire un recueil de confidences ?

Cela a commencé au Havre : dans le cadre des 500 ans, on m’a demandé de constituer un groupe d’auteurs pour écrire de courtes fictions à partir d’anecdotes recueillies auprès des commerçants. Ces textes ont été exposés tout l’été sur les vitrines et édités par Gallimard sous le titre Les Petits Romans du Havre. À Nantes, lors du festival Bifurcations, j’ai poursuivi ce travail en lançant un appel à confidences, invitant les habitants à prendre rendez-vous avec moi de façon anonyme ou à déposer leurs secrets sur le site dédié.

"Ce n’est pas  une collection  d’anecdotes, mais  une palette d’émotions qui fait sens, avec  un début, un milieu  et une fin."

Vous effacez-vous vraiment derrière la parole des autres ? Quel est le lien entre le témoignage, réel, et la fiction ?

Dès que vous ouvrez les pages, vous êtes dans la vérité du livre, donc tout est réel et tout est fiction. Certaines nouvelles sont parties d’une seule phrase entendue, d’un lien entre deux mots, d’une émotion ressentie, d’une image. D’autres sont liées à des thématiques qui me tiennent à cœur… L’écrivain a toute liberté. Mais il y a aussi la réalité de ce que m’ont raconté les gens, qui n’avaient que cinq à dix minutes pour se confier, car il ne s’agissait pas de raconter sa vie : je n’avais aucune certitude de la vérité de leurs confidences. J’aimerais bien que chaque lecteur, en refermant le livre, se demande : Et moi, qu’est-ce que j’aurais raconté ?

Où avez-vous placé vos propres confidences, comment avez-vous organisé les récits ?

Ce n’est pas une collection d’anecdotes, mais une palette d’émotions qui fait sens, avec un début, un milieu et une fin, comme un roman. Il y a une série de résonances avec une alternance entre les confidences lourdes et légères, longues et courtes, ponctuées de celles qui ont été postées sur le Net, des hommes et des femmes. J’ai voulu rendre imperceptibles les passages du « je », à la première personne du récit, au « il » de la troisième personne, et éviter les redondances de situations.

Dans ce qui est finalement un tableau de la société à travers l’intime, qui raconte aussi les rapports de domination homme/femme, les humiliations sociales, c’est le philodendron, installé dans la pièce, qui donne le fil conducteur : ses feuilles, qui absorbent le gaz carbonique comme les douleurs, tombent au fur et à mesure, et son départ rendra les confidences impossibles.

Vous avez pris le contre-pied du roman : que vous a apporté ce choix narratif ?

C’était un défi, pour moi, de me confronter à la parole des autres et à une autre forme d’écriture, condensée et très exigeante, comme une mise en danger. Mais que ce soit pour un roman ou pour une nouvelle, la conception d’une histoire me prend toujours du temps : je prends beaucoup de notes, je fais des croquis, la mise en route est lente. C’est finalement très chronophage de faire court, alors qu’il est plus facile dans un roman de s’autoriser des digressions et d’entraîner le lecteur dans ses histoires. J’ai aussi travaillé par évidement, pour ne pas trop dire, laisser de la place au lecteur et des fins ouvertes.

Propos recueillis par Natalie Castetz

À vos agendas

  • Lecture le 19 mai 2019 à Époque, Le salon des livres de Caen (14).
  • Rencontre le 6 juin 2019 à la librairie La Galerne, au Havre (76).

Marie Nimier a écrit treize romans publiés chez Gallimard, dont Sirène en 1985 (prix de l’Académie française et de la Société des gens de lettres) et La Reine du silence en 2004 (prix Médicis).

Elle écrit également des albums pour enfants, du théâtre, des scénarios de films, et est parolière pour de nombreux artistes francophones.

[L’invitée] Marie Nimier dans l’intimité