Elsa Escaffre livre un premier roman, drôle et attachant, sur la nostalgie de l’enfance, le deuil, l’imbrication des destins individuels et collectifs, mais aussi la création, avec des jeux typographiques entremêlés dans le texte.

Sans chichi est paru en janvier aux éditions Christian Bourgois. Dans cette double trame narrative, l’autrice, au présent, s’installe dans une résidence d’écriture. L’actualité de la mort de Jacques Chirac évoque à l’autrice la mort d’un grand-père bien-aimé. Le temps présent s’intercale avec un retour vers le passé, une nostalgie pour l’enfance des années 1990 et les anecdotes familiales avec la présence bienveillante et chaleureuse du grand-père, décédé récemment.

© Roger Legrand

Mots choisis

"Et parce qu’il faut bien renommer le monde pour qu’il s’adapte, se moule, colle au nouveau réel qui le transforme, il est en train d’être décidé quelle esplanade, quel bâtiment public, quelle rue de bourgade de province ou de la capitale sera renommée du patronyme de l’ancien président tout juste mort. Je me demande quelle personnalité historique locale ou universelle, victime de ce mouvement d’échiquier, sombrera dans l’oubli. Quel décédé devra s’effacer encore un peu plus devant le Grand Jacques dont la mort bouleverse les plans cadastraux municipaux ?"

Dans ce livre, vous parlez de votre expérience de résidence d’écriture à l’usine Utopik, dans la Manche. Quelle importance a, selon vous, ce type de dispositif ?

Être en résidence, c’est pouvoir se mettre à l’abri des urgences quotidiennes qui entravent le travail de création et accorder un moment d’attention soutenue au processus de fabrication. Se trouver hors de chez soi, à la rencontre de nouveaux territoires, nourrit également le texte en cours d’écriture. Les dispositifs de résidence témoignent aussi d’une forme de reconnaissance du travail du créateur, de la valeur de son activité. Accompagnés financièrement, ils ont également une dimension pécuniaire qu’il faut préserver et défendre.

Non sans humour, vous préconisez dans votre roman un suivi physique et psychologique, « une formule santé all inclusive », pour les créateurs en proie aux affres du doute. Est-ce une telle épreuve d’écrire ?

Il y a beaucoup de dérision et d’autodérision à ce sujet. S’il n’est pas insoutenable d’écrire, il reste étrange et coûteux de s’y atteler. Parce qu’il y a une part d’obstination féroce à fabriquer quelque chose qui reste à venir, suspendu et dont on ignore l’issue. Il existe des tas de façons de faire émerger ses pensées, reste encore à trouver celle qui sonne juste. Il se crée un rapport particulier avec le texte : il faut autant l’apprivoiser, l’orienter que se laisser surprendre, s’aventurer hors de ce qui était, plus ou moins, prévu. C’est aussi bien une lutte qu’une danse.

Évoquant les émoticônes, vous écrivez : « Pour nous faciliter la tâche, pour nous éviter la mécanique collante du langage, on a remplacé les mots par des images, comme dans les albums de Babar […]. » Et à propos de votre travail d’écriture, vous vous définissez comme « une intérimaire du texte ». Pouvez-vous nous donner votre vision du langage ?

Je suis fascinée par l’ampleur et la puissance du phénomène « langage ». La composante graphique, visuelle, sonore des mots ainsi que la façon de les associer est inépuisable. Les jeux typographiques présents dans Sans chichi témoignent de ce goût, de cette envie d’explorer la langue sous toutes ses coutures. Choisir de reprendre la mise en page de coupure de presse ou isoler quelques mots sur la page incite à poser sur eux un œil nouveau. Ceci contribue aussi à rythmer, relancer ou amortir la lecture. J’aime l’idée qu’au fil des pages se construit une expérience de regard sur cet objet qu’est le livre.

La mort est omniprésente dans votre texte, que ce soit la mort, médiatisée, de Jacques Chirac, celle du grand-père de la narratrice ou, par là même, celle de son enfance. Quel est votre rapport à cette notion, mais aussi au passé ?

Au-delà de la question de la mort, c’est plus largement la disparition, l’absence qui m’intrigue. Aussi bien celle des corps, des objets, de la matière que celle du paysage, des sensations. Ces motifs sont fondamentaux dans le livre. C’est à travers eux que se lisent les traces de l’absence. Je vais chercher dans le trivial, l’infime parfois pour saisir ce qui s’échappe. Je trouve aussi de bonnes ressources dans l’humour, l’étrangeté, le décalage, tout ce qui participe au contre-pied. C’est dans ces paradoxes que j’aime manœuvrer. Je crois qu’il y a quelque chose d’un spleen réjoui ou d’une fringante désespérance dans mon travail.

 

Propos recueillis par Cindy Mahout et Valérie Schmitt

Bio express

Elsa Escaffre développe une pratique hybride et cherche à inscrire le langage en et hors du livre. Seule ou en collaboration, elle déplie l’écriture à d’autres supports : objets imprimés, installations, livres d’artistes et performances.

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[L’invitée] Elsa Escaffre – Sans chichi