Journaliste, auteur, photographe. Quelle que soit sa forme, le travail de Patrick Bard s’inscrit dans la réalité de notre monde.
Il a signé en 2020 un essai biographique sur l’américain Piero Heliczer, artiste aussi important qu’oublié,
qui vécut dans le Perche, comme lui.
Bio express
Patrick Bard est romancier, écrivain-voyageur et photographe. L’Amérique latine, les frontières et la question des femmes sont au centre de son travail. Son premier roman, La Frontière, a reçu le prix Michel- Lebrun 2002, le prix Brigada 21 (Espagne, 2005) et le prix Ancres noires 2006. Il est l’auteur de huit romans aux éditions du Seuil. Orphelins de sang, sur le trafic d’enfants en Amérique latine, a été récompensé par le prix Sang d’encre des lycéens 2010 et le prix Lion noir 2011.
En 2015, il a publié Poussières d’exil (Seuil), couronné par le prix 1001 Feuilles noires de Lamballe, et Mon neveu Jeanne (Loco), un essai documentaire sur la question du genre. En 2016, son roman jeunesse sur l’embrigadement et les réseaux sociaux, Et mes yeux se sont fermés (Syros), a reçu dix prix. Il a également publié le roman POV (2018), chez Syros, et Le Secret de Mona (2020), ainsi qu’un essai biographique, Piero Heliczer, l’arme du rêve (2020, Seuil).
Il est traduit en cinq langues.
Vous semblez aussi à l’aise dans le roman, le polar, l’essai, le carnet de voyage que le beau livre photo. D’où vous vient ce côté protéiforme ?
Je pense que cela vient du fait d’avoir plusieurs casquettes. Le polar est ma famille littéraire d’origine. Très jeune et gros lecteur de polar, j’ai cofondé le festival Jazz & Polar avec des amis. C’est une littérature qui parle du monde comme il va, et surtout quand il va mal. Je suis aussi photographe, j’ai donc beaucoup voyagé et souvent écrit des textes pour accompagner mes images. Ma formation de journaliste m’a prédisposé à l’essai, et enfin j’ai développé une passion pour l’Amérique latine grâce à ma belle-famille espagnole.
On ressent une volonté très forte de témoigner, comme dans Le Secret de Mona, POV, Et mes yeux se sont fermés, qui s’adressent notamment à un public de jeunes adultes. Est-ce une manière de prolonger votre vocation première de journaliste ?
Ce sont deux choses très différentes ! Le journalisme consiste à délivrer une information, des faits qui contribuent au débat démocratique. Un roman, ce sont des personnages d’encre et de papier qui vivent des événements et auxquels le lecteur s’identifie, tout comme l’auteur. C’est un partage d’empathie. Mais c’est vrai, mon écriture est ancrée dans le réel. D’ailleurs, la recherche qui précède la rédaction d’un roman est très semblable au travail d’enquête du journaliste. Je pense toujours au roman de Steinbeck Les Raisins de la colère, rédigé après son reportage sur la Grande Dépression pour le magazine Life.
Votre dernier livre met en lumière à la fois un artiste peu connu – Piero Heliczer, cofondateur oublié du Velvet Underground – et son lien méconnu avec le territoire normand. Pouvez-vous nous en dire plus sur votre attrait pour cet artiste et son lien avec le Perche ?
J’ai découvert sa tombe par hasard, une tombe anonyme, juste un tas de pierres et un pied de lavande dans le petit cimetière du village. J’ai été intrigué, ému, aussi. J’ai cherché à savoir qui reposait là et quand j’ai découvert cette vie digne d’un roman, j’ai immédiatement eu envie de l’écrire. Il m’a fallu cinq ans. Piero Heliczer est arrivé dans le Perche ornais en 1959, sur invitation du peintre et architecte Friedensreich Hundertwasser qui y résidait. Heliczer vivait alors à Paris avec la poétesse Olivia de Haulleville, la nièce d’Aldous Huxley. Au début des années 1960, il est rentré à New York, mais il a été victime d’une chasse aux sorcières de la part du FBI, qui visait principalement Allen Ginsberg. Il a donc décidé de revenir s’installer dans le Perche à l’été 1967. Il couche d’ailleurs ce vœu sur le papier, quelques mois plus tôt : « Je veux retourner écrire en Normandie. » Hélas, diagnostiqué schizophrène et victime d’addictions multiples, il connaîtra une longue descente aux enfers jusqu’à son accident de la route, fatal, à 56 ans en 1993. Il sera enterré à Préaux-du-Perche, où il vivait, et où j’habite depuis 2009. Heliczer a été un poète important, un compagnon de route de William
Burroughs, Allen Ginsberg, et un cinéaste expérimental proche d’Andy Warhol et de la Factory. Il aura aussi été l’un des piliers de l’underground new-yorkais. La colonie d’artistes qu’il avait fondée en a incarné l’un des épicentres et le point 0 du Velvet Underground.
Votre deuxième passion reste la photographie. En quoi la ressentez-vous complémentaire du travail d’écriture ?
Voilà une chose que je peux résumer en une phrase : on ne peut pas tout dire, ni tout montrer, mais la photographie a cette puissance pour montrer l’indicible tandis que l’écriture a cette capacité à dire l’immontrable...
Propos recueillis par Valérie Schmitt et Cindy Mahout