Pourquoi il faut soutenir l’édition indépendante

Vous auriez dû les rencontrer fin mai, à Livre Paris, sur le stand Livres en Normandie.
La crise sanitaire en a décidé autrement, privant 24 éditeurs régionaux de cette vitrine et d’échanges précieux avec leurs lecteurs et confrères. Ce rendez-vous devait leur permettre de renforcer leur visibilité, déjà mise à mal par les confinements et les embouteillages de parutions à la réouverture des librairies.
Ainsi en 2020, leurs revenus ont baissé en moyenne de 40 %. Avec une belle résilience, ils n’envisagent pourtant pas de changer d’activité et s’adaptent : changement de programme éditorial, communication renforcée en direction des libraires et sur les réseaux sociaux… Il faut soutenir l’édition indépendante. Il en est encore temps. Et voici pourquoi…
Par Valérie Schmitt

L’édition indépendante prend des risques éditoriaux, en publiant des premiers romans de jeunes auteurs (qui iront peut-être ensuite chez les grands éditeurs, les « Galligrasseuil »). Tel Sana de Léo Larbi aux éditions Grevis, ou La Célébration du lézard, de Quentin Margne aux éditions Le Soupirail.

Elle donne une résonance à des genres sous-représentés car jugés non rentables comme la poésie, avec Le Confinement du monde aux éditions Lurlure, Accoster le jour chez La Feuille de Thé, ou le genre de la nouvelle avec les éditions L’Ourse brune.

L’édition indépendante se fait l’écho des questions
de notre temps,
et propose aux lecteurs d’autres voix. Par exemple avec : Nos sociétés du vieillissement entre guerre et paix, plaidoyer pour une solidarité de combat, aux éditions L’autreface ; Red Mirror, l’avenir s’écrit en Chine, chez C&F éditions ; Éprouver l’altérité, des pistes pour le vivre ensemble, aux éditions Rabsel ; ou encore Le photojournalisme peut-il sauver la presse ?, chez MJW Fédition.

L’édition indépendante est un laboratoire et innove, prenant des risques techniques et donc financiers en proposant de nouveaux formats, comme le Docu BD À la découverte de Tokyo en manga chez Petit à Petit, ou le livre dépliant Grandir aux éditions Møtus. En travaillant sur l’accessibilité du livre pour tous, notamment aux DYS, comme le proposent les éditions La Marmite à mots avec Un chien trop connecté. Ce livre présente une police Verdana, taille 14, un interlignage espacé et les phrases se terminent en bas de page (les enfants nayant pas à tourner la page pour avoir la suite de la phrase). Ou encore, en développant des applications numériques comme Perroquet bleu, avec Promenons-nous dans les bois.

L’édition indépendante produit des livres de haute qualité, à l’opposé de certains préjugés sur l’édition régionaliste. Des livres qui sont le fruit de recherches scientifiques, avec des photos artistiques. Des livres qui valorisent le patrimoine culturel régional. Ainsi, La Normandie de Flaubert, aux éditions des Falaises ; Le Déjeuner du casseur de pierres, chez Cahiers du Temps.

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L’annuaire des éditeurs en région

© A. Sablery

Anne Sablery, Cahiers du Temps

« Toujours dans le respect du métier et d’une ligne éditoriale cohérente, nos éditions continuent de valoriser, de mettre en lumière notre patrimoine, comme Pierre Coftier l’a fait en partant d’un tableau de Guillaume Fouace, exposé à l’abbaye aux Dames : Le Déjeuner du casseur de pierres, qui lui a permis d’explorer une profession oubliée – pourtant toujours d’actualité dans certains pays – et d’analyser la démarche du peintre naturaliste.

Ces livres sont le fruit d’un travail de recherche pointu de la part d’auteurs talentueux et motivés. La mise en page de chaque titre est particulièrement soignée grâce à une iconographie choisie, issue des archives départementales du Calvados, de collections privées ou du travail de photographes professionnels. »

 

 

 

Emmanuelle Moysan, éditions Le Soupirail

« Prendre des risques, du temps avec les auteurs, c’est le cœur de métier de l’éditeur. D’autant plus pour le premier roman. Offrir aux lecteurs non ce qu’ils attendent, mais ce qu’ils n’imaginent même pas attendre. Les surprendre par la langue, la vision du texte, parce que la diversité et la richesse sont essentielles face à l’uniformisation de la culture et de la pensée. Pour le lecteur, c’est la garantie d’avoir un vrai choix. »

 

 

 

 

Caroline Triaureau, éditions La Marmite à mots

« Faciliter l’accès à la lecture pour tous est essentiel. Pour cela, nous travaillons sur la graphie, la mise en page, la cohérence de lecture, pour que celle-ci soit la plus aisée possible. Bien que cet objectif ait un impact financier sur l’économie du livre, le prix et le livre sont les mêmes pour tous, dyslexiques ou non. Parce que le droit à la culture ne doit pas être celui de la différence. »

 

 

Sandrine Levasseur, éditions L’autreface

« Les grandes maisons d’édition ont la capacité d’attirer les “grandes signatures”. Or celles-ci, même lorsqu’elles publient un nouveau livre, vont le plus souvent y exprimer une pensée déjà éprouvée, “rodée”. La nouveauté des idées y est assez limitée, car installée dans le système de pensée de l’auteur. C’est finalement dans les petites maisons d’édition que des idées “neuves”, plus dissonantes, vont s’exprimer plus facilement. Un “jeune” auteur y trouvera davantage sa place, notamment s’il s’oppose au paradigme dominant… »

 

 

 

 

© Lurlure

Emmanuel Caroux, éditions Lurlure

« En France, la poésie a été délaissée par la quasi-totalité des “gros” éditeurs, car jugée non rentable. Elle existe grâce à un réseau d’éditeurs indépendants et de libraires passionnés et engagés. Loin des clichés, la poésie contemporaine n’est ni moribonde ni hermétique, mais c’est au contraire un écosystème riche, pluriel et très vivant, comme en témoigne le nombre important de publications, de manifestations ou de revues. On attend maintenant avec impatience le jour où une poétesse inaugurera une cérémonie d’investiture présidentielle en France, comme cela a été le cas aux États-Unis pour Joe Biden. »

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