Longtemps considérée comme la « petite » rentrée littéraire, la rentrée littéraire de janvier s'impose de plus en plus comme un temps fort avec environ 500 nouvelles parutions, début 2018, contre 567 titres annoncés pour la rentrée de septembre 2018. La rentrée d’automne cristallisant notamment l’attention avec des auteurs confirmés, la course aux grands prix littéraires et les retombées économiques qui en découlent. En attendant de plonger dans les préparatifs de la rentrée littéraire normande dans le prochain Perluète, entretien avec un libraire complice hors région, Hugues Robert. Responsable de la librairie Charybde, Paris 12e, et animateur du blog Charybde 27, il nous dévoile les coulisses de « sa » rentrée littéraire.
À partir de quand se prépare la rentrée littéraire de janvier ?
Hugues Robert : C’est assez variable selon les années, selon que nous identifions ou non en amont la présence d’autrices ou d’auteurs que nous aimons tout particulièrement et souhaiterions inviter en soirée, notamment, mais aussi selon l’importance de notre programme de soirées en novembre et décembre. En moyenne, nous commençons à nous en préoccuper seulement courant novembre, en général, au moment où nous avons presque achevé de digérer et décanter la rentrée littéraire d’août-septembre, et de moduler aussi les sorties « décalées » (celles d’octobre, souvent très appréciées chez nous).
Un rappel important : la librairie Charybde est une librairie de très petite surface (45 m2), qui doit donc en permanence effectuer des choix parfois drastiques, qui privilégie bon an mal an le fond sur la nouveauté stricto sensu, et qui se concentre nettement sur la fiction au sens large.
Comment la caractérisez-vous par rapport à celle de septembre ? Comment expliquez-vous que des auteurs très attendus en 2018 comme Pierre Lemaître, Delphine de Vigan, Olivier Adam ou Paul Auster et Elena Ferrante en littérature étrangère, sont parus en janvier ?
Hugues Robert : De façon un peu caricaturale, elle était historiquement un peu plus « littéraire » et un peu moins « grand public », souvent plus audacieuse, et avec moins de « locomotives » identifiées comme telles. Il nous semble toutefois que cette différence s’estompe quelque peu depuis 2-3 ans. Peut-être parce que certains éditeurs, de plus en plus nombreux, face à l’encombrement de septembre, ne se contentent plus de placer leurs textes les plus « pointus » (et les moins susceptibles de concourir pour les prix littéraires) en janvier, mais aussi ceux d’auteurs connus qui ne seront pas concernés par les prix d’automne (prix déjà obtenus par exemple : dans ce cas, pourquoi aller volontairement s’inscrire au milieu du brouhaha de fin août et de septembre ?). Au-delà du risque de caricature et des stratégies de marketing éditorial, on sent tout de même une attente auprès de la partie la plus « pointue » de notre lectorat (et de nous-mêmes) : après les batailles d’artillerie de l’automne, c’est le moment où ont plus de chances d’apparaître des textes plus discrets, plus « difficiles » peut-être, et en tout cas souvent formidablement intéressants.
La rentrée littéraire de janvier est-elle plus propice à la découverte de nouveaux talents que celle d’automne, qui se focalise autour d’auteurs confirmés même si on voit de plus en plus les éditeurs mettre en avant des primo-romanciers ?
Hugues Robert : Il nous semble que, globalement, oui (voir ci-dessus), mais en effet, c’est aussi une affaire de tri de notre part : dans les plus de 500 titres de la rentrée de septembre, si on élimine de toute façon les 300 ou 350 qui ne sont « pas pour nous » (en y incluant naturellement une part de préjugés de notre fait, pour le meilleur et pour le pire) – et qu’on n’a pas besoin de défendre spécialement les 75-100 autres qui sont déjà ultra-marketés par leurs éditeurs, il y a aussi chaque année 20 ou 30 titres à choyer particulièrement, qui correspondraient sans doute à ces critères informels (plus pointu ? plus littéraire ? plus audacieux ?) que l’on attribuerait à la rentrée de janvier.
Ressentez-vous une attente au niveau des lecteurs aussi forte qu’au moment de la rentrée littéraire d’automne ?
Hugues Robert : Non, indéniablement. Peut-être parce que la frange de notre lectorat qui est la plus intéressée a priori par cette rentrée-là comporte davantage de « grosses lectrices » et de « gros lecteurs », qui sont souvent un peu moins sensibles à la stricte actualité, compte tenu de tout ce qu’ils trouvent intéressant de lire. Ils sont souvent un peu plus patients, et se donnent le temps, donc oui, des attentes, mais sans le côté un peu spectaculaire et un peu artificiel de septembre.
Chaque rentrée littéraire est aussi l’occasion pour le libraire d’affirmer son rôle de passeur en défendant ses choix et en intensifiant l’interaction avec ses lecteurs avides de conseils : comment cela se traduit-il dans votre librairie ? par des tables, des bandeaux, des coups de cœur, des animations particulières ?
Hugues Robert : Non, pas chez nous. Nous avons la faiblesse de penser que nous pratiquons cela en permanence, toute l’année, indépendamment de l’actualité trop massifiée sans doute aux époques de rentrée littéraire. Nous animons en permanence (1 à 3 soirées par semaine, toute l’année), nous organisons nos tables au fil de l’eau, pas uniquement en fonction des sorties immédiates, nous avons en permanence des coups de cœur (relayés en magasin bien entendu, mais peut-être plus encore sur notre blog), et, pour diverses raisons, nous n’aimons franchement pas les bandeaux.
De manière générale, qu’attendez-vous de la rentrée littéraire de janvier, en terme éditorial et économique ?
Hugues Robert : Du fait de notre positionnement permanent, faiblement saisonnier pourrait-on dire, nous n’avons peut-être pas d’attentes si particulières par rapport à cette rentrée de janvier, à part, comme évoqué plus haut, le fait de sentir – dans quelle proportion ? Nous ne savons pas ! – un peu plus d’audace en œuvre, une moindre proportion d’évidences attendues pas nécessairement très attendues. Disons que c’est une période placée un peu davantage sous le signe de la curiosité et de l’exploration, donc plus intéressante pour nous, même si elle concerne a priori une frange moins importante, en nombre, du lectorat pris dans son ensemble (mais l’essentiel du nôtre, en tout cas). D’un point de vue économique, il n’y a pas d’impact en tant que tel, et en tout cas pas sur janvier-février, mais les bons textes qui sortent à cette occasion nourrissent souvent nos soirées et nos ventes jusqu'en juin.
Propos recueillis par Valérie Schmitt