Dans le cadre de son projet autour de l’écologie du livre, Normandie Livre & Lecture a décidé de donner la parole à des acteurs engagés du territoire qui œuvrent à leur manière pour un écosystème du livre plus social, plus solidaire et/ou plus durable. Ils nous livrent, à travers ces interviews, des propos inspirants.

© Sophie Fauché

Pouvez-vous présenter en quelques mots la librairie La page qui tourne ?

La Page qui tourne est une petite librairie généraliste de 30m², ouverte en juillet 2021 à Verson, en périphérie de Caen sur la route de la Bretagne. C’est une librairie de proximité.

Qu’est-ce qui a motivé votre choix de créer une librairie et de l’implanter à Verson dans l’agglomération caennaise ?

Faire vivre mon territoire (j’habite la commune) est une source de motivation essentielle. C’est une petite ville que je connais bien, qui se développe, qui avait déjà un vivier culturel. Son tissu commerçant est également intéressant, j’ai fait le pari qu’une librairie y avait sa place. Nombreux sont ceux qui peuvent témoigner avec nostalgie de la fermeture, il y a plus de 10 ans, d’une presse qui faisait librairie. Pour autant, j’ai regardé l’avenir et non le passé et ouvrir une librairie c’était remettre le livre dans le quotidien des gens, offrir de la proximité et proposer du service. Bien au-delà de Verson c’était proposer une alternative aux grandes surfaces alimentaires (GSA), grandes surfaces spécialisées (GSS) et librairies de centre-ville pour tous les habitants et actifs de la périphérie.

Quel accueil les habitants de Verson et les professionnels du secteur vous ont réservé ?

Les habitants nous ont accueillies avec enthousiasme. Nous répondons à un réel manque. 6 mois après l’ouverture, nous en faisons le constat quotidien. L’accueil du territoire a été excellent nous étions invitées dès l’annonce du projet à rejoindre une union commerçante. La librairie vient compléter une offre commerçante variée. Nous trouvons notre place également en tant qu’acteur culturel aux côtés de l’espace Senghor, la médiathèque de Verson.

Quel regard portiez-vous à l’ouverture de la librairie et au regard de vos expériences passées sur l’écosystème du livre ?

En tant que lectrice, mon regard se limitait à la consommation de papier et au devenir du livre. Allais-je accumuler des livres, privilégier l’emprunt, fréquenter régulièrement les boîtes à livres, lire en numérique… Je faisais un peu tout cela. Les deux dernières années, j’ai exercé en bibliothèque et je me posais la question du devenir du livre après désherbage, de la nécessité de recouvrir les livres de plastique mais restait convaincue que le livre de bibliothèque était le plus écologique par sa mutualisation.

Vous avez participé le 20 mai dernier à la journée de Normandie Livre & Lecture sur l’écologie du livre (pour un écosystème plus social, durable et solidaire). Est-ce que cette journée et votre pratique de libraire depuis ces quelques mois d’ouverture a fait évoluer votre vision de l’écosystème du livre ?

Comme beaucoup de sujets, le point de vue duquel on se place est essentiel. Cette journée avait l’avantage de réunir différents acteurs de la chaîne du livre. J’ai vu comme les intérêts de chacun pouvaient diverger mais j’ai aussi vu comme chacun pouvait prendre le temps de s’interroger à la recherche d’amélioration dans un système global.

Pouvez-vous nous parler d’un projet que vous avez pour limiter les retours et le pilonnage des ouvrages qui vous sont livrés abîmés ?

Nous n’offrons pas de remise à nos clients, même pour la fidélité : cette remise accordée (en général le plafond légal de 5 %) met en danger notre trésorerie dans un commerce déjà fragile. N’offrant pas cette remise, nous pensons pouvoir faire le choix de la proposer sur des livres un peu abîmés. Nous les nommons « défectueux » dans notre jargon et pouvons les retourner à l’éditeur pour être remboursé. Ce retour a tout de même un coût financier (on peut l’estimer à 2,4 %) et bien sûr écologique.

En proposant au client la remise de 5 % chacune des 2 parties fait un effort : le libraire « perd » de l’argent car le retourner lui coûterait moins cher et le client accepte un produit dégradé au prix « unique » (remisé) du livre.

En revanche il n’y a pas de coût écologique : on évite un retour au fournisseur et une probable mise au pilon.

La représentante de notre premier fournisseur en a été surprise puisque je « perds » de l’argent. Je lui expliquais que je gagnais aussi un temps précieux en règlements de litiges.

Votre clientèle vous semble-elle prête à accueillir cette initiative ?

Sans avoir rendu la chose officielle par affichage, nous l’avons pratiquée. Les réactions sont vraiment diverses selon le type de livre, l’usage que va en faire l’acheteur, en particulier si c’est un cadeau. Cela met en jeu l’image du libraire et de la librairie. Il faut bien communiquer pour ne pas dégrader cette image.

 

Soumise, comme toutes les librairies, à un fort turnover d’ouvrages, vous souhaitez communiquer sur les ouvrages qui vont bientôt être retournés. Pouvez-vous présenter ce projet et son intérêt ?

J’étais encore, il y a peu, cliente de librairie et je sous estimais cette rotation nécessaire des titres. Trois rayons seront concernés par une étagère qui montrera aux clients les livres que nous nous apprêtons à retourner, en expliquant que si ces titres les intéressent, leur achat leur évite un trajet retour vers l’éditeur. L’avenir de ces livres qui ne sont pas défectueux, c’est l’éditeur qui en décide ensuite.

Quel outil vous semble le plus efficace pour sensibiliser la clientèle sur ces questions de
retours, de pilonnage… ?

La meilleure des informations, c’est en parler. Cette initiative est arrivée aux oreilles de N2L par une cliente. Mais c’est épuisant et chronophage (pour les clients comme pour nous). Alors il nous faut réfléchir à une signalétique efficace. L’organisation dans l’espace n’est pas non plus facile dans 30 m² !

Avez-vous d’autres projets en lien avec l’écologie du livre ?

À défaut de projets nous avons des gestes : nous recevons régulièrement des livres sous enveloppes dites « à bulles » non recyclables que nous proposons très volontiers à nos clients lorsqu’ils veulent faire des envois, ils savent aussi qu’ils peuvent trouver nombre de cartons.

C’est du recyclage à notre échelle.

La médiathèque de Fontaine-Étoupefour valorise notre partenariat dans cet esprit : nous sommes librairie de proximité ! Les livraisons ne sont pas problématiques, il y a toujours quelqu’un qui a quelque chose à faire sur l’une ou l’autre commune. Nous pouvons également envisager le vélo.

Nous allons à pied à l’espace Senghor de Verson.

Enfin si nous parlons d’écologie sociale, celle qui fait du lien, c’est ce qui fait le moteur de la Page qui tourne.

 

Propos recueillis par Marion Cazy

 

Pour en savoir plus sur la démarche de la médiathèque de Fontaine-Étoupefour, vous pouvez lire l’interview ci-dessous :

[Questions à…] Olivéra Lajon, responsable de la Médiathèque de Fontaine-Etoupefour

[Questions à…] Pascale Colin, co-gérante de la librairie La page qui tourne, Verson (14)
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