Le prix Alain Spiess
La 3e édition du Prix Alain Spiess s’est clôturée les 22 et 23 novembre 2019 à Trouville-sur-Mer avec comme œuvre lauréate Trois concerts de Lola Gruber, aux éditions Phébus.
Interview avec Françoise Spiess, présidente du Prix Alain Spiess qui récompense le meilleur second roman.
Cette récompense du meilleur second roman n’existait pas auparavant sur la scène littéraire nationale. Pouvez-vous nous en expliquer la genèse ? Et quelles sont les difficultés, selon vous, pour un auteur d’écrire un deuxième roman ?
Françoise Spiess : Le deuxième roman représente un moment singulier dans la vie d’un auteur. Dans son premier roman il a parfois introduit une part autobiographique, le deuxième roman est un envol vers l’inconnu, c’est assez vertigineux. D’autre part, éditeurs comme journalistes attendent ce deuxième roman. Sera-t-il à la hauteur du premier ? Si le premier n’a pas marché va-t-on prendre le risque du deuxième ? Rien n’est donc simple. On sait que si le premier roman révèle un homme- une femme- le deuxième révèle un(e) auteur(ice). C’est à partir de lui que l’œuvre commence. Pour toutes ces raisons il me semblait essentiel que l’écriture de ce deuxième roman soit remarquée et récompensée par un prix. D’autre part ce prix est dédié à mon mari l’écrivain Alain Spiess décédé en 2008. Or, bien des péripéties avaient accompagné la publication de son deuxième roman, il était donc cohérent que son nom soit associé à un tel prix.
En tant que Présidente et membre du jury de ce prix, quelles qualités attendez-vous des romans qui vous sont proposés ?
Françoise Spiess : Nous souhaitons, avec l’ensemble des douze membres du jury (dont Tahar Ben Jelloun, Joy Sorman, Geneviève Damas, François Emmanuel…) que ce prix souligne l’importance d’un roman dont l’écriture est singulière. La qualité du style et son originalité sont donc nos premiers critères. Il faut que ce roman nous étonne, nous émerveille, que sa lecture nous interroge et nous émeuve. C’est pourquoi nos choix se sont portés d’une année à l’autre sur des romans très différents : en 2018 le prix a été décerné à Nicolas Mathieu pour : Leurs amis après eux, qui a ensuite obtenu le prix Goncourt, en 2019 à Lola Gruber pour Trois concerts. On passe donc d’un roman social à un roman beaucoup plus intimiste. Nos discussions sont souvent amicalement houleuses d’ailleurs !
Comment qualifiez-vous le lauréat de cette année ?
Françoise Spiess : Le roman de Lola Gruber, foisonnant, dense, virtuose, est un roman d’initiation qui montre une très jeune violoncelliste aux prises avec son énigmatique et tyrannique maître, puis avec son amant, un brillant journaliste arriviste qui va exploiter son talent.
C’est un roman qui vibre comme la musique dont les pages sont pleines. Malgré sa longueur, 600 pages, on n’arrive pas à s’en détacher. Nous avons adoré !
Pourquoi avoir décerné cette année une mention spéciale au roman Querelle de Kevin Lambert chez le Nouvel Attila ?
Françoise Spiess : Le jury était partagé. Tout le monde – à une exception près – aimait et le roman de Lola Gruber et celui de Kevin Lambert, Querelle. Le tout était de décider dans quel ordre ! Trois concerts l’a emporté, mais nous avons désiré montrer combien Querelle nous avait intéressé d’autant plus que c’est un livre d’une grande violence, sexuelle, physique, sociale – donc déconcertant, dérangeant – et que bien qu’il ait été mis en avant par la critique au moment de la rentrée littéraire, il n’a pas eu de prix.
Nous avons donc pris la décision de lui donner une mention spéciale, ce que nous n’avions encore jamais fait.
Pouvez-vous nous parler également des deux autres prix ? le Prix des Jeunes et le Prix de la critique littéraire ? Quels en sont les critères ?
Françoise Spiess : Nous travaillons avec les collèges et lycées de Trouville-sur-Mer. Nous proposons trois ouvrages de notre sélection qui nous semblent être susceptibles d’intéresser les jeunes (nous faisons une sélection de 6 livres en septembre parmi tous les deuxièmes romans que les éditeurs nous envoient. Notre prix porte sur les livres publiés entre janvier et septembre de l’année). Les élèves les lisent, nous intervenons dans les classes pour les présenter, en proposer des lectures, puis ils votent et désignent le lauréat – la lauréate – du prix des Jeunes. Cette année le prix a été obtenu par Sylvie Tanette pour Un jardin en Australie, joli roman qui superpose deux histoires de femmes à soixante-dix ans d’écart, et fait découvrir la réalité d’une Australie aux confins du désert et des traditions de ses premiers habitants.
Enfin nous décernons le prix de la meilleure critique littéraire. Chacun peut y participer. Nous présentons les livres aux lecteurs des médiathèques, mais aussi aux détenus des prisons de Caen. La meilleure critique est récompensée par des livres offerts par les éditions Gallimard.
Nous privilégions les critiques qui dans une langue élégante, vive, voire humoristique, proposent une lecture intelligente et personnelle d’un des livres de notre sélection. En 2018 le prix avait été attribué à un détenu, en 2019 à une lectrice de la médiathèque.
Quel bilan tirez-vous de ce week-end ? Car en plus de l’attribution des différents prix, rappelons qu’il y a aussi des performances, lectures et débats pendant le temps du week-end…
Françoise Spiess : Le week-end du prix s’est déroulé dans une atmosphère passionnée et chaleureuse. C’est un grand succès. En effet pendant deux jours nous invitons une vingtaine d’auteurs ainsi que d’autres artistes (cinéaste, peintre, musicien, comédien), et proposons gratuitement au public, film, performance, promenade en mer avec lectures, rencontres, débats, dédicaces, lectures en musique… Ce rendez-vous littéraire trouvillais devient incontournable et nous nous en réjouissons.
Quelles perspectives envisagez-vous pour les prochaines éditions ?
Françoise Spiess : Nous nous sommes réunis depuis le week-end du prix, et de nombreux projets voient le jour pour l’édition 2020. Tout d’abord nous créons un prix de la nouvelle, une section jeune–jusqu’à 18 ans–et une section adulte. Le thème choisit pour cette année est Trouville. Avis à tous ceux qui souhaitent y participer ! Pour cela des ateliers d’écriture sont proposés par des auteurs dans les classes qui le souhaitent. Nous organisons également à la demande des enseignants du collège Mozin des ateliers théâtre pour mieux préparer les élèves à rendre compte oralement de leurs lectures.
Le travail commence cette semaine et va se poursuivre jusqu’à la fin de l’année scolaire. Un spectacle clora l’année scolaire, des extraits en seront montrés lors de la remise des prix.
Nous souhaitons également mieux articuler nos projets avec les propositions qu’offre le nouveau baccalauréat pour les élèves de lycée.
Le spectacle d’ouverture du week-end est choisi : une représentation de Ruine, roman d’Alain Spiess, jouée par un seul comédien. Nous souhaitons également faire des lectures déambulatoires sur la plage et développer notre partenariat avec des libraires des grandes villes normandes et d’Île-de-France.
Notre souhait est que ce prix remplisse pleinement les objectifs que nous lui avons assignés : faire venir à la lecture le plus large public possible, faire découvrir la littérature d’aujourd’hui au plus grand nombre, mettre en avant des auteurs de grand talent, parfois oubliés par la critique médiatique.
Ce prix est une fête de la littérature !
Propos recueillis par Valérie Schmitt
Pour en savoir plus : www.leprixalainspiess.fr