Dans le cadre de son projet autour de l’écologie du livre, Normandie Livre & Lecture a décidé de donner la parole à des acteurs engagés du territoire qui œuvrent à leur manière pour un écosystème du livre plus social, plus solidaire et/ou plus durable. Ils nous livrent, à travers ces interviews, des propos inspirants.

© Marie-Berthe Ferrer

Pouvez-vous vous présenter ?

Je suis, depuis la fin des années 1990, écrivain-voyageur, auteur de romans pour adultes et jeunes adultes, et je suis aussi photographe. J’ai été photojournaliste de 1977 à 2014. Ma zone géographique de spécialisation est l’Amérique Latine, même si j’ai voyagé dans le monde entier. Je poursuis mon activité de photographe parallèlement à celle d’écrivain. Je suis aussi le président de l’Association Moulin Blanchard qui porte le projet “Le champ des Impossibles”  et je suis très impliqué dans mon territoire.

 

Vous êtes auteur et photographe, vous enseignez également l’écriture créative en école d’art, comment organisez-vous ces différentes facettes de votre métier ?

Je suis auteur et photographe (même si le photographe est aussi un auteur) depuis des décennies. Mais j’ai eu besoin de transmettre il y a une dizaine d’années. J’enseigne donc à la fois l’écriture créative mais aussi les questions du langage et c’est un prolongement de mon activité qui nourrit ma réflexion personnelle en termes de création. Toutes ces activités se répondent même si elles nécessitent une bonne gestion du temps.

 

Vous avez participé à des groupes de travail de Normandie Livre & Lecture autour des questions d’écologie du livre (pour un écosystème plus social, solidaire et durable), selon vous, quels sont le rôle et les possibilités de l’auteur face à cette problématique ?

L’auteur a son mot à dire dans la chaîne de fabrication. Et il ne doit pas hésiter à se faire entendre, à conditionner ses choix au respect de certaines normes. Ainsi, mon dernier livre de photographies est réalisé par un éditeur qui est l’un des rares à avoir obtenu le label « Made in France », car toute la chaîne de fabrication est française. Il y a d’autres critères, bien sûr : le choix des papiers, le respect du droit social…

 

Vous avez fait le choix il y a plusieurs années de quitter Paris pour le Perche. Quel lien entretiennent selon vous écriture et territoire, entre lieu physique habité par l’auteur et les territoires de sa création ?

C’est un lien étroit, fusionnel parfois. Le territoire est un lieu d’inspiration permanent. Là où je suis est aussi qui je suis. Mon roman biographique sur Piero Heliczer, mon livre d’art sur les vitraux de la Grande Guerre à Préaux, mon livre sur la forêt du Bois Landry en sont autant de témoignages. Actuellement, je photographie la forêt plantée par Friedensreich Hundertwasser à Perche en Nocé. Auparavant, j’ai habité les Bords de Marne et la Lozère, et ces deux lieux ont également donné naissance à nombre de créations, expositions ou livres…

 

Pouvez-vous nous parler du Champ des impossibles et du rôle que vous y jouez ?

Le champ des Impossibles est un projet protéiforme de développement du territoire par l’art et la culture et de soutien aux artistes. Son but est de rapprocher l’art et les publics en milieu rural dans le territoire du Perche.
Je suis l’un des co-fondateurs du projet, avec Christine Ollier, spécialiste d’art contemporain, galeriste, installée dans le Perche et avec la commune de Perche en Nocé et son maire, Pascal Pecchioli.
Je suis le président de l’association qui porte le projet en partenariat avec une autre association, Art Culture and Co. Je m’occupe également des résidences d’auteurs, des rencontres littéraires et de l’organisation des ateliers d’écriture en milieu scolaire et auprès de familles de réfugiés.

 

Quelle place l’écriture (littéraire) trouve-t-elle dans la structure ?

Nous organisons chaque année une résidence d’auteur. Nous avons choisi de soutenir et faire connaître la francophonie américaine. C’est le souci de cohérence tout autant que la qualité de cette littérature trop peu souvent mise en avant qui nous a guidé. En effet, il existe des liens forts entre la Normandie et l’Amérique. Montréal a été fondée par des migrants venus d’Igé, dans le Perche. Un québécois sur quatre a des ancêtres percherons. De même, nombre d’habitants de Saint-Barthélemy, dans les Antilles, ont des origines normandes. Par ailleurs, Montréal est la ville refuge de la francophonie mondiale (Haïti, Liban, etc.). Notre premier auteur résident a été Makenzy Orcel et James Noël est actuellement en résidence chez nous. Les auteurs animent des ateliers avec des jeunes en collège et des adolescents issus de familles de réfugiés. L’antériorité sur le territoire d’artistes comme Piero Heliczer, poète Italo-américain de la Beat Generation enterré à Préaux du Perche, nous a également guidé dans notre orientation.

 

Comment y avez-vous abordé la question du territoire, l’ouverture, la solidarité, l’inclusion ?

Nous avons réfléchi aux différentes manières de rapprocher les publics de l’art contemporain, de l’art et de la culture en général et nous les mettons en œuvre: médiation culturelle, ateliers de pratique artistique, rencontres avec le public, expositions, lectures publiques, débats, concerts (dont certains gratuits), édition de livrets de résidence, création d’un parcours Art & Patrimoine (expositions dans les lieux patrimoniaux), visites guidées, création d’une artothèque et prêt d’œuvres (elle a été inaugurée la semaine dernière) avec des tarifs accessibles (25 € par an pour les chômeurs et étudiants) et des tarifs préférentiels pour les établissements scolaires, création d’un café culturel associatif, action spécifique en direction des familles de migrants et de réfugiés accueillies sur le territoire.

 

Un projet comme celui-ci est-il, à vos yeux, profondément écologique ? Si oui, pourquoi ?

Le lieu central de notre dispositif, le Moulin Blanchard, est un tiers-lieu qui fonctionne avec un système de toilettes sèches, qui accueille sur ses 2,5 hectares des ruches d’abeilles noires du Perche dans le cadre de leur préservation, et surtout, c’est un projet qui s’appuie sur le local, le rural, le territoire, donc, oui, à nos yeux, il est écologique. Par ailleurs, nous envisageons l’isolation en partenariat avec une association (Eco Pertica) qui travaille dans le respect total des normes écologiques et qui est pionnière dans son domaine et pour qui le chantier servira de centre de formation. Enfin, les extérieurs du Moulin Blanchard font l’objet d’une étude de l’École nationale supérieure du paysage de Versailles et sont le sujet diplômant de 11 étudiants dans le cadre de la formation continue. Donc, oui, c’est à nos yeux un projet écologique.

 

Enfin, pouvez-vous nous parler des interactions que vous entretenez sur votre territoire avec les autres acteurs du livre, mais aussi avec ceux de la culture, du social, de l’économie ? Est-ce qu’il est facile voire évident pour un auteur de nouer ces liens, ou au contraire, est-il difficile d’être présent auprès des professionnels et du public de son propre territoire ?

Notre projet s’inscrit dans un projet culturel de territoire qui a fait l’objet d’un diagnostic et qui est en cours de rédaction avec la CDC Coeur de Perche et la commune de Perche en Nocé. Nous convions également notre libraire associé à nos actions et la Pocket Galerie de Nocé, qui est l’émanation de l’association Art Culture & Co, fait partie de notre projet. Elle intègre une librairie d’ouvrages d’art. Nous sommes en lien avec les autres structures du territoire, notamment les médiathèques pour les rencontres littéraires. En tant qu’auteur, j’interviens aussi régulièrement sur le territoire et j’ai des contacts avec d’autres auteurs. La principale difficulté est, je pense, la coordination entre les différents acteurs afin de dégager une cohérence. Je pense par ailleurs qu’il est difficile, voire inadéquat, d’essentialiser la condition d’auteur et que son lien dépend aussi de facteurs humains, et donc singuliers.

 

Propos recueillis par Marion Cazy

[Questions à…] Patrick Bard, écrivain voyageur, photographe
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