Dans le cadre de son projet autour de l’écologie du livre, Normandie Livre & Lecture a décidé de donner la parole à des acteurs engagés du territoire qui œuvrent à leur manière pour un écosystème du livre plus social, plus solidaire et/ou plus durable. Ils nous livrent, à travers ces interviews, des propos inspirants.

Pouvez-vous présenter en quelques phrases les éditions Phloème ?

Les éditions Phloème sont un havre d’édition de textes poétiques et d’essais, présent en France et à l’étranger (Suisse, Hongrie, Italie, États-Unis, Inde, Iran …). Une de nos raisons d’être est le partage à travers des rencontres mêlant pensées et poésies. Depuis notre naissance en novembre 2015, nous effectuons nos ouvrages à la main suivant les préceptes d’une reliure ancienne, la reliure à la chinoise notamment. Phloème est une maison d’édition indépendante possédant trois collections générales, une de textes poétiques (Des Poètes), une de pensées et d’essais (Pensées), une dédiée à l’errance autour du monde (Mondes) et plusieurs collections spécialisées : Aubade Ciel (livres d’artistes), Lumière écrite (poèmes et photographies), Fugue de vie (œuvres d’errance à deux voix), Traverses (livres bilingues ou traductions) et Je est un autre (récits poétiques). Dans l’ensemble de ses collections se répartissent une quarantaine de publications de jeunes auteurs et d’auteurs confirmés francophones et non-francophones.

Phloème est une manière de vivre, de penser et de transcrire le monde.

 

Pourquoi avez-vous décidé de fabriquer vos ouvrages dès la création de la maison d’édition ?

Je n’évoquerai pas ici la collection de livres d’artiste Aubade Ciel (née en 2016) dont chaque livre créé est une aventure à part entière, un objet d’art fabriqué dans une démarche unique et la collection Lumière écrite (née en 2019) que nous avons déléguée dès sa création à un imprimeur pour assurer la qualité esthétique de l’impression photographique.

Le choix de la fabrication à la main a eu plusieurs raisons, la principale fut l’aspect financier, nous avons fait le pari de nous lancer dans cette aventure avec un faible capital de départ et le choix de ce type de fabrication permettait de maîtriser les coûts, d’investir à notre rythme et de créer un fond financier à la maison d’édition qui lui permettrait peu à peu de s’agrandir sereinement.

L’autre raison principale est ce désir essentiel de donner vie à un véritable objet-livre né de nos mains comme on ne le fait plus ou peu, et d’avoir un objet-livre à la hauteur du contenu du texte, que les textes puissent être portés par un recueil qui leur ressemble. A ce désir de l’objet-livre né de nos propres mains s’est ajouté le rêve dans nos débuts d’un objet-livre tendant vers une conscience de la nature, avec notamment une reliure effectuée avec un fil de chanvre biologique ciré à l’amidon de pomme de terre fabriqué par une petite entreprise familiale indépendante en Puy-de-Dôme, et des pages intérieures en papier recyclé fabriqué en Lorraine.

Enfin, notre choix s’est porté vers la reliure à la chinoise dans une sorte d’évidence, les éditions Moundarren spécialisées dans l’édition des grands classiques asiatiques venaient d’abandonner leur format de reliure à la chinoise pour un format industriel assez décevant et je pense qu’il y avait en arrière-fond une certaine nostalgie de la beauté du livre Moundarren de nos études.

 

Comment s’opère le choix du papier, de l’encre ?

Nous sommes partis du rêve d’un objet écologique, avec le choix d’un papier recyclé pour le livre intérieur et d’une couverture en papier vergé d’une teinte naturelle, chaude mais sobre. Puis nous avons mué pour l’intérieur du livre également vers un papier vergé qui est à l’origine un papier ligné dédié à la correspondance et qui correspondait bien à notre éthique et au souhait de mettre l’acte d’écriture au centre de l’objet-livre. A ce jour nous utilisons un papier vergé chamois fabriqué pour moitié en coton et pour l’autre moitié en bois, qui comme son nom l’indique dans sa coloration rappelle le pelage d’été du chamois.

En ce qui concerne les encres, dans le cas d’une impression faite par nos soins la marge de manœuvre est faible car nous sommes soumis à l’utilisation de toner d’encre compatible avec les imprimantes semi-professionnelles que nous possédons pour ne point altérer le fonctionnement des machines et rares sont les fournisseurs qui proposent une alternative d’encres végétales.

Les premières fois où nous avons fait appel à un imprimeur havrais pour nous seconder dans certains travaux nous avons pu faire la demande d’une encre de papier certifiée Imprim’vert.

 

Comment travaillez-vous la reliure ?

Nous effectuons la reliure à la chinoise à la main uniquement dans notre atelier à l’aide de fils de chanvre biologique et d’aiguilles à grecquer. La feuille-couverture principale épaisse enserre les feuilles intérieures du livre et la corde est passée trois fois dans quatre trous également répartis sur le rebord du dos, nous n’utilisons point de colle d’où l’intérêt et l’attrait en plus de l’esthétique de cette reliure. Nos ouvrages possèdent un dos contrairement à la reliure à la chinoise initiale, dans le format et l’adaptation de l’objet-livre nous avons suivi la filiation des éditions Moundarren.

La reliure à la chinoise, nommée plus couramment aujourd’hui reliure à la japonaise, est un type de reliure parmi les plus anciennes au monde, en Chine les livres de ce type le plus souvent ne possédaient point de dos mais était rangés dans une boite en carton fermée par une attache traditionnelle.

 

En moyenne, combien de temps mettez-vous pour fabriquer un livre ? Et combien d’exemplaires faites-vous pour chaque ouvrage ?

Pour fabriquer vingt-cinq livres, trois journées de travail de dix heures sont nécessaires, ce qui représente à peu près une heure de fabrication par livre, c’est une tache de passionné.

Avec ce temps de travail conséquent dédié à la fabrication de nos ouvrages nos éditions le plus souvent sont limitées à des tirages allant jusqu’à cent exemplaires maximum par livre.

Dans la mutation que nous avons engagée cet été avec la délégation de la fabrication à un imprimeur professionnel, nous avons pu permettre à certains livres d’être tirés en trois cents ou cinq cents exemplaires.

 

Pensez-vous qu’avec le soin apporté à chaque ouvrage, vos livres sont plus durables que ceux créés de manière industrielle ?

Le chanvre agricole accompagne l’Homme depuis le néolithique. Il est là depuis le début et il nous réapparaît comme une alternative écologique à saisir. La colle utilisée actuellement en plus d’être toxique le plus souvent a une durée de vie limitée. Le fil de chanvre était l’élément principal utilisé pour la fabrication des cordages de bateaux, au contact de l’humidité et de l’eau il se resserre. Une fois le nœud de la reliure effectué celui-ci ne peut plus se défaire à la main à moins d’être coupé au couteau.

Dans sa reliure nos objets-livres sont de loin plus durables que ceux fabriqués de manière industrielle avec un dos carré-collé, notre papier intérieur associant bois et coton est particulièrement résistant, le point faible dans le cas d’une impression laser est l’encre qui malgré les progrès en cours perd de sa durée de vie et notamment les encres végétales.

Le chanvre agricole (canabis savita savita) était très cultivé en France (textile, cordage, papier), il n’appauvrissait pas les sols, poussait vite et était particulièrement résistant aux maladies, mais avec le développement de procédés tels l’agrochimie et la culture réglementée du chanvre, les agriculteurs s’en sont détournés.

 

Quelles sont les limites de cette fabrication ?

Nos limites comme évoqué plus haut sont les temps de fabrication de chaque ouvrage (une heure par livre) et dans ses conséquences la limitation des tirages et des délais qui peuvent être longs dans le cas de commandes importantes.

 

Si vous deviez déléguer la partie fabrication de vos ouvrages, quels critères prendriez-vous en compte pour choisir l’imprimeur ?

Arrivant à notre septième année de fabrication à la main de nos ouvrages et ne voulant entraver la diffusion et la distribution des livres que nous publions, nous avons fait le choix de mettre au second plan notre travail d’artisan, de fabrication de l’objet-livre, pour pouvoir donner de l’énergie à la mise en lumière des talents des œuvres et des auteurs auxquels nous donnons vie.

Après avoir eu le goût d’un objet réalisé soi-même si longtemps, le choix d’un imprimeur semblera dans un premier temps insuffisant et décevant. Malgré cela nous avons fait appel au graphiste Jean-Marc Barrier qui a repensé nos objets-livres et qui nous a permis de conserver l’esprit de Phloème dans sa transition vers des ouvrages fabriqués de manière plus industrielle, par l’ajout d’une jaquette de couverture en papier vergé comprenant la reproduction pour chaque auteur d’une encre originale peinte au pinceau qui le suivra pour tout autre livre publié aux éditions Phloème. Ces jaquettes avant d’être apposées sur nos livres sont brodées au fil de chanvre par nos soins, par cette action nous faisons le lien entre notre ancien visage et le nouveau en épousant une forme nouvelle alliant broderie et encre au pinceau.

A savoir que pour les passionnés nous continuerons de proposer chaque ouvrage en reliure à la chinoise pour les tirages de tête effectués par nos soins à l’unité en commande sur notre site.

 

Propos recueillis par Marion Cazy

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[Questions à…] Lara Dopff, autrice, metteuse en scène et éditrice des éditions Phloème
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