Secrets de famille
Dans ce roman, le tableau idyllique de la famille parfaite cède rapidement la place à la conscience d’un silence pesant qui règne entre ses membres. Laure Limongi décortique ici les vapeurs méphitiques des secrets de famille et explore la reconstruction de l’image maternelle.
Laure Limongi écrit, cheminant parfois avec des artistes venus d’ailleurs, comme la graphiste Fanette Mellier. Elle est aussi musicienne, éditrice et coordonne le master « Création littéraire » situé dans l’enceinte de l’École supérieure d’art et de design Le Havre-Rouen. Mais d’abord, elle écrit. Et il y a cette élégance chez elle, qui consiste à éviter le piège autobiographique alors que On ne peut pas tenir la mer entre ses mains est pétri des silences, des absences et des incompréhensions propres à la saga familiale, que ce soit sous le soleil corse ou sur le continent.
Huma est cette enfant dont le prénom s’est échappé d’un rêve de sa mère. Elle surgit dans le roman lorsque la narratrice abandonne le « je » du retour en Corse pour la troisième personne ; absente et présente, elle est là et elle n’est pas là, mais elle sera jusqu’au terme du roman le catalyseur de sa reconstruction familiale. Si « on ne peut pas changer le passé », on peut le recomposer. Huma s’y emploie en grandissant : elle puise dans les paroles, les signes, la lourdeur des silences et des non-dits, les regards enfumés, tantôt si lointains, tantôt si crûment réels d’Alice, sa mère, qui soudain s’éclairent avec fulgurance lors de juxtapositions fortuites ou provoquées, mettant sa propre couleur dans les zones grises de ce passé recomposé.
Comme chez Daniel Arasse, dans On n’y voit rien, qui cherche l’anomalie lui permettant d’éclairer et de comprendre le tableau, Huma observe, côtoie, chemine avec les membres de cette famille aux secrets délétères, mais il lui faudra vivre en son sein, les mensonges accumulés comme une peau malaisée à supporter, puis s’en éloigner pour enfin accéder aux non-dits révélateurs : le tableau familial s’éclaire mais la narratrice ne revient pas au « je ». Comme lors d’une réaction chimique, le catalyseur sort intact du processus.
Une question reste en suspens : et si la « mer » du titre – que l’on ne peut pas tenir entre ses mains – n’était qu’une poétique et pudique homophonie pour cette « mère » qu’il fut impossible de tenir entre ses bras ?
Dominique Panchèvre
On ne peut pas tenir la mer entre ses mains - Laure Limongi, Grasset, 2019
Mots choisis
"Le secret est lourd, beaucoup trop lourd. Il pèse dans chaque regard, chaque expression. Rien n’est jamais neutre. Le secret transforme la veille en cauchemar et abolit le rêve. Le secret change les minutes en siècles inquiétants. Il prend toute la place. L’absence est une gangrène, elle envahit tout."