La vie sur un fil

Dans ce premier roman à l’écriture sensible, Rémi David tente de restituer l’insaisissable : l’Art, la passion entre deux êtres, la légèreté du fil. À travers cette histoire vraie, il parvient à esquisser ce lien qui relie Genet à Abdallah, l’insondable amour entre deux êtres si éloignés l’un de l’autre. Nous assistons à la fois à la fulgurance de l’amour, à une fascination réciproque qui permet à chacun d’exceller dans son art – l’écriture qui avait déserté Genet et le fil qui devient la raison d’être d’Abdallah – pour « devenir quelqu’un ».

Lorsque Jean Genet rencontre Abdallah, le jeune homme a 18 ans et aime une jeune fille de son âge avec laquelle il a des projets de mariage ; Genet a 44 ans et il est déjà un écrivain consacré. Il est aussitôt charmé par cet acrobate. Il entreprend alors le projet de façonner Abdallah comme un sculpteur travaillerait la pierre. Genet le rêve Funambule et le jeune homme fait de ce rêve le sien.

Ivre de cette création qu’il façonne de ses mains, fou de le hisser jusqu’à la gloire, Genet s’engouffre à corps perdu dans ce projet. Il y puise l’inspiration qui l’avait quittée depuis si longtemps et écrit à cette période de sa vie des œuvres qui marqueront sa carrière. Abdallah apparaît alors à la fois comme celui qui est soumis au désir de Genet et comme celui qui lui insuffle l’énergie créative. La figure du pygmalion alterne au fur et à mesure du récit. Cet épisode dans la vie de Genet l’inspirera pour son magnifique texte Le Funambule, écrit au printemps 1957 et dédié à Abdallah qu’il a rencontré à la fin de l’année 1955.

Mais une tragédie est sous-entendue dès le très beau titre de ce roman – formule empruntée au texte Le Funambule – et annoncée comme une prémonition lorsque Abdallah entre pour la première fois dans un théâtre et qu’il assiste à une pièce écrite par Cocteau, Le Jeune Homme et la Mort.

Car la tragédie qui se joue devant nous est celle d’une chute à venir, incommensurable, irréversible. Celle d’un funambule dont le fil et l’amour de Genet se dérobent sous les pieds, et dont toute la vie se dérobera à son tour à l’âge de 28 ans.

Rémi David nous livre ce récit éblouissant qui nous tient par le suspense qu’il sous-tend. Il s’approprie avec pudeur cette histoire vraie tout en parvenant à conserver cette part de romanesque. Il parvient à remettre en lumière celui que l’on pourrait réduire injustement au « funambule de Genet », Abdallah Bentaga, celui qui meurt de n’être plus assez aimé.

 

Cindy Mahout

Mots choisis

« C’était la première fois depuis un long moment qu’il jouerait sans que Genet soit dans les gradins ou derrière le rideau qui cachait les coulisses. En grimpant sur l’échelle, pour accéder au fil, il se l’imaginait dans son hôtel d’Athènes, peut-être en train d’écrire ou de déambuler dans les rues de la ville. Il savait qu’il ne fallait pas y penser, ne plus penser à rien, rien que son numéro, mourir au monde entièrement, avant que d’apparaître. Que de fois Jean avait pu le lui répéter. »

[Chronique] Mourir avant que d’apparaître de Rémi David