© Bruno Fern

La poésie au couteau

Pour son premier livre intitulé Massacres, Typhaine Garnier n’y va pas de main morte, même si elle manie plutôt le scalpel que la tronçonneuse en opérant la poésie à la syllabe près.

 

En effet, ayant sélectionné trente poèmes appartenant au patrimoine littéraire (ici présentés en regard de leur version « massacrée »), elle tire de chacun d’eux un autre texte en conservant la métrique de départ et, dans la mesure du possible, les sonorités. Cela dit, cet ouvrage est loin de ne constituer qu’un simple exercice de virtuosité. Tout d’abord, chaque nouveau texte contient des éléments considérés à tort comme non poétiques, ce dont témoigne le lexique qui va du registre savant jusqu’à l’argot. De plus, les contraintes rythmiques et sonores obligent l’auteur à recourir fréquemment à des coupes acrobatiques : « écor- / Ces, dents… » ; « moi je / Dépliais » ; « Où s’ / met ».

Ce travail minutieux permet de conserver en arrière-plan la soufflerie du poème originel et correspond à une véritable pratique du vers et non au découpage de grammaire fonctionnelle auquel se réduit trop souvent le vers dit libre. Quant aux nombreuses références, elles illustrent elles aussi le parti pris de l’hétérogénéité puisqu’elles vont d’Homère à Astérix en passant par Villon, Bataille, Sade, Jarry, Cervantès et Prigent. Il ne s’agit donc pas de faire table rase de l’histoire littéraire mais de dénoncer le risque toujours actuel de sa momification, la plupart des textes du corpus massacré faisant partie de ceux que Typhaine Garnier admire.

Par ailleurs, l’auteure s’attaque aux mauvais traitements que l’école faisait (fait encore ?) subir à la littérature, en parodiant les notes et consignes scolaires : « la Poésie, qui est le chant de l’âme », « commentez cette belle image », etc. Enfin, il faut souligner le fait que chaque poème issu de cette entreprise parvient, malgré la contrainte drastique, à atteindre une cohérence interne. Ainsi on y trouve de fréquentes allusions à l’écriture en cours (« Rature, benne le chant des mots, fais ta loi ! ») et se succèdent scènes érotiques, évocations du monde littéraire, problèmes de poids, recettes de cuisine, soucis de santé, conseils de jardinage, démarches immobilières, péripéties informatiques, etc., soit une profusion hétéroclite qui est bien celle d’une vie passée à travers ce tamis.

Le ton sarcastique qui domine le livre n’empêche pas une certaine gravité d’affleurer parfois, même si Typhaine Garnier excelle dans l’art de la pirouette comme en témoignent ces vers tirés du premier quatrain de Ma Bohème de Rimbaud :

« J’émanais là, le groin dans les moches corvées ;

Mon palotin autiste aviné tudait mal ;

J’ai les sous, le fiel m’use et j’éteins tout vénal

Sot blabla ! Dans ma cour, cent Didon j’ai crevées ! »

[Chronique] Massacres de Typhaine Garnier