© Éd. Lurlure

La vie est une anecdote

Libre livre. Avec L’Autre Jour, Milène Tournier ne se donne ni sujet ni limites, pour mieux dire la perte, la peur, mais aussi toute la beauté des choses les plus simples de la vie.

Mots choisis

« Surtout, ici,
N’érige
Rien."

« La Lune
Ne m’aide pas
À mourir."

« L’autre jour », rappel d’une anecdote dans la conversation, un passé proche qui n’est pas précisé car il ne mérite pas d’être situé dans l’Histoire ; ce qu’on rapporte n’a nul besoin de date puisque cela semble se situer dans le quotidien, dans le cours familier de la vie que symbolise dès le poème initial un voyage en car, la nuit... « la nuit », mot réitéré, qui ponctue le texte supposant l’ignorance, l’absence, le rêve, ce curieux chemin de connaissance. Pourtant, ce sont des questions fondamentales et obsédantes que se pose, que nous pose, Milène Tournier : la mort – du père, de la mère, des enfants, de soi-même, en un mot de « qui j’aime ? » –, l’amour, la vie. Fragilité et impermanence de l’être humain : « Moi, prêtée à la vie. » Surtout, en cette période de « quarantaine », imposée par la pandémie. La quarantaine à la fois entre deux âges – jeunesse et vieillesse – et isolement comme une remise en cause : « En un hiver tout changea. »

L’écriture de l’autrice entrelace souvent deux systèmes d’expression : des poèmes courts, voire très courts, seuls ou enchâssés dans des lignes de prose poétique. Ils semblent y concentrer une idée ou une émotion. Ces petits poèmes sont ciselés, nourris d’images inventives et efficaces dans leurs mots quotidiens ; ils apparaissent comme des touches dans un tableau en cours d’élaboration aux nombreuses reprises ou relances. La répétition est une technique dominante dans cet ouvrage qui se nourrit d’oralité, avec ses ruptures de phrases, ses incidentes, les constructions parfois hasardeuses d’un discours à la fois intérieur et partagé : « Je dirai... je te parlerai comme... J’ai rêvé... » Autant de confidences ou d’appels à l’attention de l’autre.

Nulle dramatisation, nulle tragédie grandiloquente pourtant, même si le massacre du Bataclan apparaît avec le nom de Salah Abdeslam et si la panique affleure parfois ; « je veux pas le respirateur ! » s’écrie Milène Tournier dans Poèmes en quarantaine, la dernière partie de l’ouvrage, où elle évoque la Covid-19 à travers le confinement. Dernière partie où l’autrice avoue l’impuissance de la poésie à aider l’acceptation de l’inéluctable.

[Chronique] L’Autre Jour de Milène Tournier