La chambre d’écho proustienne de la mémoire retrouvée
Difficile de ne pas plagier la préface que Jean-Yves Tadié a écrite pour La Chambre de Léonie d’Hélène Waysbord. Lui, qui a si bien lu Proust, a su lire entre les lignes d’une fiction documentaire qui hésite avec l’essai, où la narratrice fait œuvre de mémoire avec l’autrice.
Une quinzaine d’années après la fin de la guerre qui l’avait soudain privée de sa famille « dans l’instant », Hélène Waysbord avait pris comme sujet de thèse la métaphore dans la Recherche.
Il lui a fallu laisser filer le temps et cheminer la vie pour qu’elle retrouve et qu’elle comprenne ce que la mémoire avait caché, troublé, ou tenté d’oublier. Proust a fait de ce travail une œuvre ; Hélène Waysbord s’empare de cette œuvre comme caisse de résonance de sa propre recherche : elle lui révélera l’image de cette mémoire, dans son acception photographique.
L’évocation de La Chambre claire de Roland Barthes vient ici en contrepoint de celle de la tante Léonie, véritable poste d’observation, celui d’un guetteur immobile, malade plus ou moins imaginaire d’un Molière malgré lui, qui regarde par la fenêtre les moindres mouvements de la vie du village. Chambre plus modeste que celle de l’illustre malade qui écrivit la Recherche jusqu’à son dernier souffle d’asthmatique, la chambre de Léonie est le premier des postes d’observation qu’Hélène Waysbord explore.
Dans le texte de Proust. Il y aura ensuite le jeune narrateur de la Recherche qui observe, dissimulé, les relations et les conversations chez les Vinteuil, puis, devenu adulte, les préliminaires du ballet feutré entre Charlus et Jupien. Il ne s’agit pas chez Proust d’espionnage intentionnel, plutôt d’une observation – presque fortuite – qui catalyse et qui éclaire les situations.
Celles qui sont évoquées dans la Recherche, Hélène Waysbord les fait résonner dans La Chambre de Léonie avec celles de la narratrice – si proche de l’autrice – au fil des événements qui ont jalonné son existence ; avec humilité et admiration pour l’entreprise de Proust. Cela lui permet de les mettre en lumière (de les révéler, dirait le photographe), de les mieux comprendre et, au bout de l’écriture, de les accepter. Car il est difficile de reconstruire sa mémoire après l’arrachement de l’enfant aux parents raflés, quand la souffrance se mêle à l’incompréhension et à l’effacement. Le tête-à-tête avec soi-même qu’est l’écriture permet ici d’y parvenir, dans une langue travaillée sur les côtes normandes, parfois du côté de chez Swann, d’autres fois à l’ombre des jeunes filles en fleurs.
Dominique Panchèvre
Mots choisis
« La chambre, lieu du sommeil et du rêve, d’une libération de l’imaginaire, devient le lieu de la création littéraire. S’y développe une exploration fantastique, un monde total. »