C’est un oiseau !

Arnaud Nebbache, avec ses très beaux dessins tout en aplat de couleur, retrace ce procès rocambolesque qui fera jurisprudence en mettant au cœur des débats la notion d’œuvre d’art.

En 1926, le sculpteur Constantin Brancusi, d’origine roumaine mais parisien d’adoption, ancien élève de Rodin, est déjà célèbre et expose dans le monde entier. Il s’apprête à expédier des œuvres à la galerie Brummer de New York pour une future exposition. Démarche qui ne devrait pas poser de problème puisque, selon le Tariff Act de 1922, la loi américaine prévoit la libre importation des œuvres d’art originales réalisées par des artistes contemporains. Mais lors du débarquement des sculptures dans le port de New York, la douane américaine ne reconnaît pas le statut d’œuvre d’art à une des pièces importées et la taxe de 4 000 dollars sous prétexte qu’elle ressemble à un objet industriel ! La réponse de Brancusi ne se fait pas attendre. Il décide immédiatement d’attaquer l’État américain.

S’ouvre alors en 1927, à New York, un procès haut en couleur, dans lequel la pièce incriminée, L’Oiseau, sculpture longue et fuselée de 1,35 m, polie comme un miroir, est au centre de tous les débats. Artistes et experts en art moderne vont défiler à la barre pour faire entendre leurs arguments contre l’avocat défenseur des États-Unis qui ne recule devant rien pour débouter Brancusi de sa plainte. Il argue que l’œuvre n’est pas un original, qu’elle ne ressemble pas à ce qu’elle est censée figurer (un oiseau), et il remet même en cause la légitimité de Brancusi à se présenter comme artiste.

Brancusi gagnera son procès, le juge reconnaissant que la finalité première de l’objet est esthétique et non utilitaire. Et le lendemain, des photographies de la sculpture paraîtront dans la presse, avec cette légende… : « C’est un oiseau ! »

 

Valérie Schmitt

Mots choisis

Contexte : le 26 novembre 1928, verdict du juge, dans lequel il reconnaît que : « Une école d’art dite moderne s'est développée dont les tenants tentent de représenter des idées abstraites plutôt que d’imiter des objets naturels. Que nous soyons ou non en sympathie avec ces idées d’avant-garde et les écoles qui les incarnent, nous estimons que leur existence comme leur influence sur le monde de l’art sont des faits que les tribunaux reconnaissent et doivent prendre en compte. »

© Dargaud

Brancusi contre États-Unis Arnaud Nebbache, éditions Dargaud, 2023

 

Ce projet a bénéficié d’un soutien de la DRAC Normandie et de la Région Normandie au titre du FADEL Normandie.

[Chronique] Brancusi contre États-Unis d’Arnaud Nebbache