« Tout ce que j’essaie d’ébaucher ici n’est pas exact. C’est au mieux une construction chaotique et sans comparaison, sans discussion paisible possible. Le passé est à arracher au noir, au silence, à la douleur et au désir de la propriété exclusive. »

Ainsi s’ouvre le livre d’Anne Gorouben. Nous sommes prévenus, il s’agit d’une entreprise de reconstruction humaine, à partir de fragments collectés, de souvenirs à réinventer, de beaucoup de silences ou de non dits. Comme dans Le jour où mon père s’est tu, de Virginie Linhart – dans un contexte social et historique très différent, en en faisant également œuvre différente – Anne Gorouben interroge le silence familial.

100, boulevard du Montparnasse est tout le contraire d’une sacralisation du désespoir, d’une plainte à déposer auprès du tribunal d’une Histoire qui a malmené les juifs ; non, il s’agit d’un livre d’espérance nourri de trois générations : les grands-parents, les parents et Anne Gorouben elle-même. C’est également une œuvre de transmission, l’envoi est à destination de sa nièce, Hélène.

Le point de départ pourrait se situer dans l’enfance : « Toute mon enfance, j’ai vécu sous l’emprise d’une terrible peur du noir » dit-elle dans les premières lignes. Cela dit, les premières lignes sont venues après les dessins. Crayons et papiers toujours l’accompagnant dans sa petite valise, depuis l’atelier ou en plein air, Anne Gorouben travaille le noir, son matériau de base, qu’il soit réel (les cayons du HB au 8B) ou métaphorique. Avec ce noir polysémique, elle fabrique de la lumière, des ombres, des gris, elle régénère la parole tue, elle coud de son fil de plomb le tissu de l’histoire familiale. En dessinant, elle éprouve dans son corps les trous de mémoire, tramant les manques de merveilleux gris. Ensuite, le texte vient.

Avant de confier l’ensemble à Frédéric Pajak, son éditeur, elle avait intitulé ce texte La gamme des gris. L’éditeur sait lire les dessins, étant lui-même artiste et homme attentif à ce qu’ils expriment. Il en a fait ce remarquable ouvrage, sobre et dense à la fois.

Il y aurait encore tant à dire ! Odessa, la Coupole, Kafka, les peintures… Le mieux est encore de se laisser emporter par la lecture dessinée.

 

Dominique Panchèvre

100, boulevard du Montparnasse, Anne Gorouben, Les cahiers dessinés, 2011

[Chronique] 100 boulevard du Montparnasse d’Anne Gorouben