Pour la seconde année consécutive, Normandie Livre & Lecture, co-organise, avec l’Institut Mémoires de l’Edition Contemporaine (IMEC) une résidence de création et offre ainsi à un auteur, les conditions humaines, logistiques et financières pour mener à bien son projet littéraire.
Cette année, cette résidence d’écriture de deux mois bénéficie à l’auteur Christophe Manon. Il est accueilli à l’Abbaye d’Ardenne (14) du 16 décembre 2022 au 5 juin 2023.
En préambule, pourriez-vous rappeler, en quelques lignes, le sujet du projet d’écriture que vous avez commencé ou poursuivi en résidence ?
Il s’agit d’un livre de poésie, intitulé Élégies mineures, que je conçois comme une « autobiographie commune » dans laquelle la plupart des éléments convoqués sont susceptibles d’appartenir à chacun d’entre nous. Car la mémoire me paraît en effet traversée par des tourbillons d’images, des bribes de phrases, des fragments de rengaines, des lambeaux de souvenirs qui parfois ne sont peut-être pas tout à fait les nôtres, et qui s’inscrivent toutefois dans notre histoire personnelle. Tenter en somme d’écrire une mémoire à la fois singulière et collective, dans « un mouvement qui, selon Georges Perec, partant de soi, va vers les autres », et inversement.
Vous avez déjà été accueilli plusieurs fois en résidence en France, qu’est-ce que vous appréciez le plus dans le fait d’être en résidence ?
Pour écrire, un auteur a besoin de silence, d’isolement, de tranquillité d’esprit et de temps. Ce qui est rare dans la vie quotidienne et donc très précieux, et que l’on est susceptible de trouver dans le cadre d’une résidence. Cela permet une véritable immersion dans l’écriture pendant une durée relativement longue. Si l’on ajoute que les lieux de résidence sont très souvent situés dans des endroits somptueux, comme ici, à l’abbaye d’Ardenne, à Saint-Germain-la-Blanche-Herbe, non loin de Caen, c’est une raison supplémentaire d’apprécier ces moments. Il est bon par ailleurs, du moins pour ce qui me concerne, de changer de cadre de vie. L’écriture s’en trouve elle aussi déplacée, d’une façon ou d’une autre, j’en suis convaincu. Dans mes livres par exemple, je crois qu’un lecteur attentif pourrait distinguer des indices climatiques ou des fragments de paysages en rapport avec les espaces où ils ont été écrits.
Aviez-vous des appréhensions/ des doutes sur votre projet qui ont pu être résolus pendant cette période ?
Je suis particulièrement sujet au doute et à l’appréhension. Seul le travail permet de les lever, du moins partiellement, mais il en engendre nécessairement d’autres. Mais, au fond, cela me paraît tout à fait sain. Je considère que cela fait pleinement partie du processus d’écriture.
Dans le cadre de votre résidence, quelles sont les rencontres qui vous ont marquées ? Pourriez-vous décrire un moment fort de votre résidence ?
Lorsqu’on est en résidence à l’Imec (Institut mémoires de l’édition contemporaine), la plupart des repas sont pris dans une salle commune. Ce sont des moments privilégiés et particulièrement enrichissants qui permettent de faire mieux connaissance avec l’équipe, toujours très chaleureuse et enthousiaste, mais également avec les autres résidentes et résidents. J’ai notamment retrouvé ou rencontré pour la première fois, je tiens à les nommer car leur compagnie a beaucoup compté, par ordre d’apparition comme au cinéma, Charles Robinson, Anouk Lejczyk, Abigail Assor, Omar Youssef Souleimane et Catherine Weinzaepflen. Mais c’est aussi l’occasion de lier connaissance avec des chercheuses et des chercheurs venus du monde entier consulter des archives conservées sur place. Cela donne lieu à des échanges tout à fait passionnants sur des sujets aussi divers par exemple que les écrits de Jean Paulhan, Georges Simenon et le roman noir, la correspondance de James George Frazer, le cinéma d’Alain Resnais ou encore la réception en France de l’œuvre de Varlam Chalamov.
Pour ce qui concerne un moment fort de la résidence, je parlerai brièvement de « Regards croisés », un événement à l’occasion duquel j’ai été invité par le musée des Beaux-Arts de Caen à sélectionner une dizaine d’œuvres dans ses collections afin de concevoir une déambulation en compagnie du public en évoquant certains de mes livres, d’éventuels souvenirs, etc. Je me suis beaucoup investi dans la préparation de cette intervention et j’y ai pris énormément de plaisir.
Porte du Soleil vient de paraître aux Éditions Verdier (février 2023), pouvez-vous nous parler de cette actualité ?
Porte du Soleil est paru en effet en février aux éditions Verdier. Il s’agit en quelque sorte de la légende dorée d’une banale famille de ritals. Parti à Pérouse, Ombrie, Italie, sur les traces de ses ancêtres, le narrateur s’égare, circule en titubant parmi les œuvres de Giotto, Raphaël, le Pérugin, Pietro Lorenzetti et quelques autres, croisant au passage saints, papes, griffons, anges et martyrs. Ce roman en vers est la chronique d’un séjour au pays des morts, sur les modèles de Virgile et de Dante, un voyage intime et sensible à travers un tissu d’œuvres picturales et littéraires. Au terme de ses pérégrinations, le narrateur conclu que toute quête des origines n’est que vanité destinée à la satisfaction des vivants et qu’il est donc souhaitable de laisser les morts reposer en paix.
Ce livre est le troisième volet d’une trilogie dont les deux premiers, Extrêmes et lumineux (2015) et Pâture de vent (2019), sont également parus aux éditions Verdier. Mais je précise que chacun des volumes est indépendant et peut être lu séparément, c’est important.
Quelle suite pour votre projet d’écriture en cours ?
Le livre est pour ainsi dire achevé. Je vais donc le laisser reposer un peu avant de le relire attentivement puis, si cette étape ne soulève pas de problème particulier, l’adresser à l’éditeur auquel je le destine.
Propos recueillis par Cindy Mahout