Pourriez-vous rappeler, en quelques lignes, le sujet du projet d’écriture que vous avez commencé ou poursuivi en résidence ?
Traumatisée par l’attentat de l’été 2016 visant le père Jacques Hamel, la ville de Saint-Étienne-du-Rouvray était à la recherche d’un artiste qui accepterait de venir vivre quelques mois sur place de façon à pouvoir ensuite parler de cette commune et de ses habitants d’une façon qui recalerait le discours des médias sur cette banlieue de Rouen. J’ai accepté de relever ce défi car passionné par l’écriture littéraire je constate chaque jour à quel point la langue des médias est empoisonnée, à quel point elle heurte et fait du tort aux gens sur lesquels elle braque ses projecteurs, ses caméras, ses micros.
Est-ce qu'il s'agissait de votre première résidence ?
Non, loin de là. J’ai souvent été en résidence depuis la parution de mon premier roman, en 2001. Si je devais n’en citer que trois je mentionnerais Aulnay-sous-Bois, en Seine-Saint-Denis ; Bédarieux, dans le Haut Languedoc ; la Villa Médicis, qui est à Rome. Soit dans la banlieue parisienne la plus en souffrance, dans une vallée assez rustique, et dans un des plus beaux palais de la Renaissance. Les résidences d’écriture permettent de se confronter à des gens et des histoires aux antipodes de ce que nous vivons nous-mêmes. C’est nécessaire je crois ; je pourrais même dire que c’est une hygiène de vie. Autrement nos certitudes nous étouffent, nos avis, notre façon de voir le monde… On finit par sentir le renfermé, à ne pas faire d’infidélités à ses propres certitudes.
Pourquoi avoir choisi ce lieu de résidence ?
Comme je l’ai dit, je n’ai pas vraiment choisi Saint-Étienne-du-Rouvray. Leur proposition m’est parvenue. Je connais très bien Elbeuf, mes grands-parents y vivaient, mais comme beaucoup de monde je ne connaissais Saint-Étienne-du-Rouvray qu’à travers l’attentat de 2016. J’ai accepté cette proposition pour revoir cette boucle de la Seine et pour tenter de montrer qu’une description patiente des lieux et des personnes permet de rendre visibles l’intelligence et la beauté qui sont en fait partout.
Qu'est-ce que vous appréciez le plus dans le fait d'être en résidence ?
Mener de longs entretiens, voir apparaitre le visage d’une ville au fil des jours et des rencontres. M’inventer d’autres habitudes, dans tel café, ou avec telle famille. Découvrir comment tel ou tel aspect de l’histoire locale se connecte à l’histoire de France ou à l’histoire du monde. Dans le cas de Saint-Étienne du Rouvray, comprendre au fil des semaines comment l’histoire des cheminots et celle des papeteries ont été connectée à l’histoire ouvrière du pays ; comment l’histoire de l’immigration a contribué à façonner le visage du Madrillet.
Aviez-vous des appréhensions/ des doutes sur votre projet qui ont pu être résolus pendant cette période ?
Oui, j’avais un doute, il était obsédant. La mairie de Saint-Étienne-du-Rouvray désirant que l’on parle autrement de la ville aurait pu se tourner vers une agence de com’. Elle a fait le pari de l’art, de l’approche artistique. Parfait, merveilleux. Mais comment être bien sur que je ne finirais pas par me transformer moi-même en publicitaire de la commune ? Cette inquiétude a été paralysante, quelques temps. Puis j’ai trouvé un biais, un angle ou un ton, qui m’éloignaient d’un discours hypocrite ou trop empathique.
Dans le cadre de votre résidence, quelles sont les rencontres qui vous ont marquées ?
Un atelier d’écriture avec des femmes maghrébines de tous les âges. Certaines parlant couramment français, et d’autres non. L’ambiance était agréable, joyeuse, mais deux femmes se sont avérées épuisées émotionnellement, moralement. À peine avait-elle commencé à témoigner qu’elles s’effondraient en larmes. Sous la joie, les larmes. Juste en dessous.
Quelle suite pour votre projet d’écriture ?
J’ai habité Saint-Étienne-du-Rouvray de la fin septembre à la fin décembre 2019. Je suis presque certain de connaitre la forme qu’aura le livre que je veux / dois écrire : un recueil de nouvelles ou de textes courts. Ce serait une première puisque je n’ai écrit que des romans et des récits jusqu’à présent. Mais la forme éclatée du recueil me semble plus honnête pour parler d’une ville car pas plus qu’un individu une ville n’est un tout cohérent, où tout se tient. De même qu’il y a parfois des zones de vide entre les différentes parties de Saint-Étienne-du-Rouvray, des zones de friches ou de nature séparant deux quartiers, le recueil de nouvelles permet de rendre compte de choses hétérogènes, disparates, qui forment un tout étrange, ouvert, bigarré. Certains textes seront un peu comiques – je l’espère – ; d’autres seront plus documentaires, etc. À ce jour je crois que ce livre comptera une dizaine de textes.
Propos recueillis par Alice Ginsberg