Un récit empreint de quête, de mythes, de mer, d’amour et de rédemption
Le premier roman d’un écrivain se présente à la fois comme un objet fragile et comme l’objet de toutes les attentions. Le Lecteur lit avec d’autant plus d’attention, qu’il découvre, une langue, un ton, un univers. Qu’a-t-il à nous raconter ce nouvel entrant sur la scène littéraire ?
Dans le cas de Céline Servais-Picord, beaucoup. Car Céline Servais-Picord est une conteuse.
Elle emplit sa voix de multiples voix pour faire entendre non pas une mais des histoires. Comme un flot de paroles, trop longtemps retenu, elle nous entraîne dans les pas de sa narratrice, mais aussi dans ceux de l’homme qu’elle a aimé … qu’elle aime encore ?
Elle nous fait voyager d’un continent à un autre, du Havre, au Nigeria, en passant par l’Islande. Un périple qui entraîne le lecteur dans un voyage initiatique peuplé de souvenirs et de mythes, avec pour guide une nganga, guérisseuse dont la voix scande le récit.
Elle a tant d’histoires en elle, qu’elle goûte l’envie de nous conter une double histoire, celle tragique de la nature dévastée, des réserves de pétrole, des spéculations, des loups financiers et des pirates des mers. Et celle d’un amour suspendu.
L’écriture, son rythme, ces villes de bord de mer - dont l’écho des vagues et le ressac, se font entendre comme autant de souvenirs lancinants qui viennent et reviennent à la surface de la mémoire – forgent une atmosphère unique.
Offshore retrace une traversée vers l’être disparu, une quête des lieux comme une reconquête de l’absent, de ce qu’il était, une tentative vers une connaissance de l’autre qui nous échappe toujours un peu, même de son vivant. C’est aussi un récit puissant, violent, qui porte une lumière crue sur l’exploitation de la nature par l’homme, sur fonds de profits, de spéculations boursières, et de fonds-sous-marins spoliés pour mettre main basse, toujours un peu plus, sur cet or noir.
C’est enfin, et surtout, un livre dont la quête absolue est la rédemption. Offshore explore le sentiment de deuil, un deuil qui est double, face à cette nature saccagée par l’Homme et face à cet être disparu. Céline Servais Picord décrit la perte, l’inconsolable, l’irrémédiable.
Cindy Mahout
Offshore de Céline Servais-Picord – Ed. Le Nouvel Attila – février 2021
Extrait (page 9)
« Si tu m’écoutes c’est que tu dois être bien malade. […] Ou bien tu n’es pas malade mais juste un peu curieux. Enfin tu crois que n’es pas malade n’est-ce pas. Tu peux venir me voir en consultation. Je peux te proposer un traitement. Je suis kiné le jour nganga la nuit. La nuit je vois ta vie. Je peux couper la corde de tes blocages te débarrasser d’un mauvais esprit te fermer les yeux te fermer la tête cela dépend de ton problème. Tu n’y crois pas hein. Mais ça t’intrigue. Peut-être vaudrait-il mieux que tu voies ta vie par toi-même. C’est ça le meilleur traitement. Moi je peux voir ta vie te soigner. Mais si tu vois ta vie par toi-même c’est mieux car tous les ngangas sont des menteurs.
En attendant que tu te décides à me consulter je vais te faire voir ma vie mon chagrin et te raconter comment je suis devenue nganga. Comme je te révèle des secrets je vais te demander un paiement. Chèque ou liquide évidemment je préfère le liquide. Merci je vois que tu as amené ce qu’il fallait. Cela t’aidera à mémoriser mes paroles à tenir ta langue. Ce que je te dis tu le garderas dans le secret de ton ventre sans quoi mes mots perdraient de leur force.
J’étais très malade. J’avais du pétrole dans le ventre. Il fallait me traiter […].
Nous ne sommes plus celle que j’étais. On nous appelle Langue-de-Vélin. Nous parlons le langage de la nuit. »
L’autrice
Céline Servais-Picord est née en 1981 à Bernay. Elle a étudié l’histoire médiévale à la Sorbonne. Diplômée de l’Institut d’études politiques de Paris, elle a été consultante dans des cabinets de conseil (en tourisme, communication institutionnelle, lobbying) avant d’ouvrir les chemins aux pèlerins vers Compostelle chez un éditeur de guides de randonnée au long cours. Elle vit, télétravaille et écrit près de Rouen.
La lecture de sagas médiévales et un tour d’Islande lui ont inspiré Offshore, son premier roman.