Un village du Perche, un petit cimetière, une tombe anonyme… Ici repose, oublié du monde, Piero Heliczer.
Lorsque Patrick Bard, romancier, journaliste et photographe, découvre cette tombe par hasard, identifiée juste par un tas de pierres et un pied de lavande dans le petit cimetière du village, il est à la fois intrigué et ému. Il cherche alors à savoir qui repose là et lorsqu’il découvre cette vie digne d’un roman, il a immédiatement envie de l’écrire. Ce qu’il ne sait pas encore, c’est que ses recherches sur Piero Heliczer, l’amèneront aux quatre coins du monde, et lui demanderont de s’y consacrer pendant cinq ans…
Des années de travail d’enquête, qui seront nécessaires pour ramener à la surface Piero Heliczer, pour comprendre la dimension novatrice de son œuvre, et son importance dans la genèse du mouvement underground new-yorkais.
Ici, sous un modeste tas de cailloux gît donc Piero Heliczer, arrivé dans le Perche ornais en 1959, poète italo-américain majeur, compagnon de route de William Burroughs, Gregory Corso, Allen Ginsberg, ami du peintre viennois Hundertwasser, amant de la nièce d’Aldous Huxley, acteur de premier plan de la bohème parisienne des années 50, co-fondateur du Velvet Underground, pilier de l’underground new-yorkais, cinéaste expérimental, inventeur du show multimédia, familier de la Factory, inspirateur d’Andy Wharol, et qui fut dès l’âge de 4 ans une vedette surdouée de Cinecittà.
Au fil des pages de ce portrait épique, on côtoie Andy Warhol, Lou Reed, Sterling Morrison, la Beat Generation au grand complet, Nico, La Monte Young, Jonas Mekas, (le fondateur de la New York film-Maker's Cooperative), mais aussi Bob Dylan, Brian Jones, Ira Cohen, Paul Bowles et tant d’autres.
On suit Piero Heliczer dans ses expérimentations artistiques, avant-gardiste sans même le savoir, on le suit également à travers ses pérégrinations entre New-York, Amsterdam, Paris… au fil de ses déménagements successifs.
On découvre un destin hors norme, le parcours inachevé d’un artiste total miné par la maladie, qu’Heliczer lui-même résumait d’un lapidaire : « L’underground, c’est moi ! » Piero Heliczer, qui avait pour habitude de faire tous ses trajets à pied, tisse des correspondances avec l’homme aux semelles de vent qu’est Rimbaud. Même génie précoce, même urgence de vivre.
Car Piero Helcizer est à la fois un génie, un être sensible, attachant, mais aussi un égocentrique, un excentrique, un égoïste, un homme malade, dont les contours sont trop fluctuants pour pouvoir être complètement esquissés. Il échappe à toute biographie. C’est ce qui le rend si captivant.
Si on s’attarde sur l’œuvre de Patrick Bard, on comprend mieux pourquoi il a consacré autant de son temps à ce personnage si atypique qu’est Piero Heliczer. Piero Heliczer semble réunir à lui seul tout ce qui nourrit le travail de Patrick Bard depuis toujours. Il interroge à la fois les frontières, artistiques, géographiques. Il est un être en perpétuel mouvement, tant physique que mental, il explore tous les extrêmes, il repousse toute normalité à la frontière de la folie et du génie, il incarne un être insaisissable… quoi de plus captivant pour le photographe ou l’auteur qu’est Patrick Bard ? … Rien de plus captivant en tout cas pour un lecteur.
Cindy Mahout
Piero Heliczer, l’arme du rêve - Patrick Bard - Editions du Seuil - Septembre 2020
Extrait – p.13
« Je marche jusqu’en haut du village, là où dorment les morts à l’abri d’un mur de pierre dans l’ombre des pommiers en fleur. Comme dans une nouvelle de Gérard de Nerval, je pousse la vieille grille de fer forgé qui s’ouvre en grinçant, forcément en grinçant – de Poe à Maupassant et Nerval, c’est une figure imposée du roman néo-gothique. Je me faufile parmi les dalles de marbre et de granit sur lesquelles se reflète un ciel d’aluminium froissé, les caveaux recouverts de ciment fendu et de mousses, les croix rouillées, les christs aux membres amputés, les fleurs de porcelaine brisées. Je finis par trouver la tombe, en réalité un monticule de simples cailloux. Un pied de lavande. Des éclats de faïence, les mêmes que devant la maison des bois. Ni nom ni inscription. Juste ces pierres entassées qui m’évoquent les tombes juives.
Ici gît donc Piero Heliczer. »
Patrick Bard est né à Montreuil-sous-Bois. Photojournaliste, romancier, écrivain-voyageur. L’Amérique latine, les frontières et la question des femmes sont au centre de son travail. Son premier roman, « La frontière », a reçu le prix Michel Lebrun (2002), le prix Brigada 21 (Espagne, 2005) et le Prix ancres Noires 2006. Il est l’auteur de huit romans aux éditions du Seuil. Orphelins de sang, sur le trafic d’enfants en Amérique latine, a été récompensé par le prix Sang d’encre des lycéens 2010 et le prix Lion noir 2011.
En 2015, il a publié Poussières d’exil (Seuil), couronné par le prix 1001 Feuilles noires de Lamballe, et Mon neveu Jeanne (Loco), un essai documentaire sur la question du genre. En 2016, son roman jeunesse sur l’embrigadement et les réseaux sociaux, Et mes yeux se sont fermés (Syros), a reçu dix prix. Il a également publié le roman POV (2018), chez Syros, et Le Secret de Mona (2020), ainsi qu’un essai biographique, Piero Heliczer, l’arme du rêve (2020, Seuil). Il est traduit en cinq langues.
Par ailleurs photographe reconnu, membre de la Maison de photographes signatures-photographies.com, il mène un travail personnel sur la problématique de l’eau en Amazonie et sur les peuples autochtones des Amériques. Son travail photographique a été exposé au Centre Pompidou, à la Grande Halle de la Villette, mais aussi au Mexique, en Espagne, en Angleterre, aux États-Unis… Avec son épouse, Marie-Berthe Ferrer, il arpente l’Amérique Latine depuis de nombreuses années. Ses œuvres ont été acquises par plusieurs musées et collections privées.