Ressemblances inquiétantes
En France, où l’on adore les classifications, ce livre serait estampillé comme un OVNI de la SF. Mais les éditions de la Peuplade sont au Québec et Les Employés (1) appartient à la collection « Fictions du Nord », tout simplement parce qu’il s’agit de littérature de fiction et qu’Olga Ravn (2), l’écrivaine, est danoise.
Mots choisis
" Oui, c’est vrai.Le cadet 4 était un ressemblant, créé. Mais, toi, tu viens de la Terre, c’est ce que vous dites, et vous voulez dire tu es né. Pourtant le cadet 4 est aussi en quelque sorte originaire de la Terre, oui, de la Terre, créé à partir de la Terre. Pure chair, dites-vous à mon sujet, parce que je n’ai pas de parties techniques. Mais que dire de mon ajout ? " (extrait de la Déposition 064)
La structure du texte – une série de dépositions – est constitutive du discours narratif et de la progression des événements dont il est question sur ce six millième vaisseau. Y cohabitent des humains, engendrés, et des ressemblants, créés pour accomplir certains travaux. L’environnement est constitué d’objets indistincts et inqualifiables, qui influencent la pensée, l’humeur et les rêves. Grâce à eux, les ressemblants semblent encore pouvoir être augmentés dans leur homothétie avec les humains. Ils s’émerveillent. Pensent-ils ainsi pouvoir se libérer de leur sous-condition ? Si la commission d’enquête intervient, c’est bien qu’un grain de sable s’est glissé dans le projet : bientôt les ressemblants ne seraient plus si éloignés des humains. La différence entre les deux espèces s’amenuisant, l’unique distinction se réduirait à la mortalité des humains. Cela poserait-il un problème risquant d’enrayer la machine ? La mort serait-elle finalement le sel de la vie ? Le livre se clôt sur une porte ouverte que le lecteur devra franchir pour répondre à cette question.
Les distances, temporelles et spatiales, pourraient éventuellement nous rassurer sur le fait qu’il ne s’agit pas d’une anticipation, c’est-à-dire d’une situation qui pourrait nous échoir prochainement. Seulement, voilà : la métaphore est terrifiante, même si elle est empreinte de poésie et qu’elle laisse affleurer une forme de sensibilité, d’humanisation même, chez les ressemblants, ces êtres faits de technique et de programme. À lire comme un poème philosophique, c’est très beau.
Dominique Panchèvre
(1) Traduit du danois par Christine Berlioz & Laila Flink Thullesen.
(2) Olga Ravn sera à Caen en novembre 2020 puisqu’elle fait partie des écrivains invités par le festival Les Boréales cette année.
Les Employés - Olga Ravn, La Peuplade, coll. « Fictions du Nord », 2020