Une année de solitude
Une maison isolée au bord de la mer, quelque part en Islande. Tel est le cadre choisi par le narrateur pour terminer son nouveau roman. Ses contacts avec le monde extérieur sont rares (une sortie à la supérette et une visite à l’unique libraire du coin) et les habitants peu loquaces. Les échos fracassants du monde de 2011 continuent de lui parvenir à la radio : Fukushima, la mort de Ben Laden, la guerre en Syrie. Au fil des quatre saisons qui passent devant sa fenêtre, il essaie désespérément de donner vie à des personnages qui se dérobent sous les touches de sa vieille Olivetti. Qu’importe, l’écrivain n’est pas pressé, il ne court pas après le succès, ni les ventes, mettant la patience de son éditeur à rude épreuve. À ce dernier agacé par une énième commande de ruban pour son Olivetti l’écrivain en panne d’inspiration rétorque « Paul Auster a une machine à écrire, lui aussi. […] Oui mais vous n’êtes pas Paul Auster. »
« Ca c’est vrai, fis-je avant de raccrocher ».
Gyrdir Eliasson livre ici un subtil nuancier de la solitude et de la création : le noir des maisons, des corbeaux et de la nuit, la blancheur de la neige, de la montagne, de la mer mais aussi de la page vierge. Car l’écrivain navigue à vue, en plein brouillard, « les lettres sont des balises décolorées le long d’une route perdue dans une tempête de neige. » les silhouettes des personnages de son roman sont grises et s’esquissent lentement. On entr’aperçoit aussi, en creux dans le récit, le fantôme d’un amour perdu, aux yeux gris. Puis un jour le ruban de la vieille Olivetti va s’user, les lettres vont s’effacer, l’auteur va taper des lettres blanches sur du papier blanc.
Une écriture simple et mélancolique, un livre sur la création, la contemplation et la simplicité de la vie, des propos parfois désinvoltes, souvent sensibles et profonds. Et une fin qui se prête à différentes interprétations…
Un livre à lire et à relire.
Mots choisis
« Je n’ai rien écrit depuis deux jours. J’ai essayé ce matin […] mais brusquement j’ai eu la sensation que ma machine à écrire était le tableau de bord d’un avion en haute altitude et que je n’avais aucun diplôme de pilotage. On n’obtient pas le permis sur les ailes de l’imagination […] J’ai longtemps pratiqué le vol à l’aveuglette sur cet appareil, sans permis, mais c’est de plus en plus périlleux. »
Valérie Schmitt
La fenêtre au sud, Gyrdir Eliasson, éditions de la Peuplade 2020
Traduit de l’islandais Catherine Eyjólfsson