Ici sont tombées les ténèbres

Creuser le passé, c’est s’exposer à affronter ses propres fantômes et provoquer des fissures dangereuses. Pour boucler sa dernière enquête, Hulda doit-elle aller aussi loin ?

Mots choisis

"Son bureau, qu’elle considérait comme sa seconde maison, lui paraissait tout à coup étranger, comme si le nouveau propriétaire s’y était déjà installé. Elle trouvait sa vieille chaise inconfortable, la table en bois foncé usée et abîmée, les papiers qui y traînaient n’avaient plus aucun sens pour elle."

(Page 33)

© La Martinière

Hulda s’est toujours impliquée dans son métier de flic, qu’elle aime, certaine d’avoir du flair et de savoir mener les investigations. Au moment de démasquer une mère de famille ayant renversé volontairement un pédophile, elle apprend qu’elle doit laisser sa place à un jeune et brillant collègue. Avant cette retraite anticipée, elle arrache le droit de rouvrir un cold case : le cadavre d’une demandeuse d’asile russe retrouvé sur une plage dans l’indifférence générale. Affaire classée ? Pas pour Hulda, persuadée que l’enquête a été bâclée et que les choses auraient tourné autrement si la victime avait été une Islandaise.

Loin d’être une Miss Marple un peu écrasée par le poids des ans, Hilda montre une belle vitalité. Mais le mystère plane autour d’elle. Est-elle en recherche d’un second souffle amoureux ? Que recèlent les silences ? Au fil du texte, les questions s’accumulent, installent un trouble et une émotion.

Il y a un souffle particulier chez l’Islandais Ragnar Jónasson. Avec lui, nul besoin de bain de sang ou de noirceur sociale appuyée ; juste s’arrêter, partager la vie d’individus ordinaires, et les émotions vous nouent la gorge. L’esprit du lecteur peut rester plusieurs heures dans un fjord isolé, ou simplement marqué par des rencontres simples, surprenantes, parfois déroutantes. Ce roman met en lumière les conditions de vie dans les centres d’accueil avec un double focus : celui du personnel qui y travaille et celui des réfugiés et des migrants. C’est aussi un texte très fort sur la parentalité et sur les troubles de l’attachement.

Ragnar Jónasson avait séduit le public des Boréales avec son policier Ari Thor, novice dans la vie de couple et dans son métier. Avec Hulda, il met à l’honneur une femme d’un âge certain, dotée d’un vif intellect et qui se sent encore habitée par une énergie très forte. Il faut une bonne paire de chaussures de randonnée pour suivre ses traces, ne pas se fier à son âge. Hulda a de l’endurance et nous emmène en des lieux où les ténèbres sont tombées.

 

Sophie Peugnez

[Chronique] La Dame de Reykjavík T. 1 de Ragnar Jónasson