Originaire d’Afrique subsaharienne, Ysiaka Anam est arrivée en France avec sa famille alors qu’elle était enfant.

Titulaire de masters en psychologie et en sociologie, elle s’intéresse particulièrement aux répercussions de la migration sur la filiation et sur la langue. Elle a travaillé comme coordinatrice de projets culturels puis comme psychologue clinicienne. Elle est aujourd’hui formatrice indépendante.

Dans ses romans, elle aime explorer les zones où le plus intime vient enlacer les questions collectives, et faire du récit le lieu de bascule du réel vers la fiction.

Elle a publié un premier roman Et ma langue se mit à danser, aux éditions La Cheminante, en 2018 et un second, On avait enterré la mémoire, est à paraître. 

© Quitterie de Fommervault

Résidence de création à la Villa la Brugère : du 1er mars au 31 mars 2021

Ysiaka Anam est venue en résidence à la Villa La Brugère pour continuer à travailler sur son troisième roman : Frères de sel (titre de travail). Ce projet s’inscrit dans la continuité des thématiques abordées dans ses précédents livres : “les parts de soi confisquées par l’exil, ce que les migrations font à la transmission et aux filiations, les dialogues escarpés entre le monde des vivants et celui des morts”.

Frères de sel est un roman polyphonique : quatre voix viennent tour à tour narrer l’histoire de trois générations de la diaspora africaine aux enfants dispersés entre plusieurs continents. Leurs récits se répondent, pour produire une seule histoire : celle de ces “frères de sel”, à qui on a appris à avaler la douleur, pour traverser la vie.

Ce projet a bénéficié d'un soutien de la DRAC de Normandie et de la Région Normandie au titre du FADEL Normandie.

© Aurélien Vernhes-Lermusiaux

En préambule, pourriez-vous rappeler, en quelques lignes, le sujet du projet d’écriture que vous avez commencé ou poursuivi en résidence ?  

Je travaille sur l’écriture de mon troisième roman, Frères de sel.

Roman polyphonique, il s’enracine autour de quatre voix qui viennent tour à tour narrer l’histoire de trois générations d’une même famille, aux membres dispersés entre plusieurs continents. Adé, Sandre, Lucia, et la grand-mère Baba depuis sa tombe, racontent l’histoire de cette famille, depuis « le pays », quitté plusieurs décennies avant. Leurs récits se répondent, pour produire une seule histoire : celle de ces frères du sel à qui on a appris à avaler la douleur pour traverser la vie.

Ce roman poursuit certains thèmes que j’ai déjà explorés : les parts de soi confisquées par l’exil ; ce que les migrations font à la transmission ; et les dialogues escarpés entre le monde des vivants et celui des morts.

 

Est-ce qu'il s'agissait de votre première résidence ? 

Non, en 2019 j’avais aussi travaillé en résidence sur l’écriture de mon second roman, On avait enterré la mémoire,  au Chalet Mauriac (Agence Livre et Cinéma en Nouvelle Aquitaine) dans les Landes, et dans la ville de Douarnenez (Association Rhizomes)". 

 

Pourquoi avoir choisi ce lieu de résidence ?

Je cherchais un temps de résidence d’écriture pour travailler sur ce roman. 

En explorant le site de la Villa La Brugère, j’ai vu la photo de cette fenêtre face aux vagues. Elle a été presque hypnotique pour moi cette image. J’ai eu très envie de me lover dans cette ambiance pour travailler sur ce roman à l’univers un peu halluciné. 

La présence de la bourse d’écriture du FADEL qu’on a pu obtenir pour la résidence, ouvrait par ailleurs la possibilité de m’y consacrer entièrement durant plusieurs semaines, en me libérant d’autres contraintes professionnelles. Ce qui permet d’écrire avec une plus pleine disponibilité psychique. 

 

Qu'est-ce que vous appréciez le plus dans le fait d'être en résidence ?

Le temps de résidence me permet de trouver un « ailleurs », loin de mes lieux et liens habituels, qui seul m’autorise vraiment à me mettre en exil de ma langue sociale (celle de mon quotidien), pour me connecter pleinement à celle de l’écriture. J’en prends d’autant plus conscience dernièrement : ma langue intime, celle que j’essaie d’intégrer dans l’écriture, sonne et résonne très différemment de celle que j’utilise dans la vie courante. J’ai besoin de m’extraire de la première sur une certaine durée, pour pouvoir mieux laisser place à la seconde.

 

Comment votre résidence vous a aidé dans votre projet d’écriture ? 

Au quotidien, hors résidence, je produis souvent des bribes de texte ou d’idées pour avancer sur le roman, entre deux autres contraintes personnelles ou professionnelles. Mais au fil des mois je perds la colonne vertébrale du projet (sa structure d’ensemble, sa direction) faute d’un temps continu pour m’y dédier pleinement. La résidence m’a énormément aidée à trouver ce temps plein et continu, pour retrouver de la lisibilité sur le projet, recaler l’architecture de la narration, et préciser sa tonalité d’ensemble.

 

Aviez-vous des appréhensions/ des doutes sur votre projet qui ont pu être résolus pendant cette période ? 

Énormément. J’avais beaucoup de doutes les derniers mois, notamment sur le sens de ce texte et sa direction. L’écriture de ce roman est beaucoup plus laborieuse pour moi que les deux précédents. Je passe mon temps à faire, puis défaire, et refaire encore. Parfois plusieurs fois.

Le temps de résidence m’a permis de comprendre que c’est un texte sur lequel je suis en train déconstruire certaines tendances d’écriture que j’avais jusque-là, et qui ne me vont plus tout à fait. Déconstruire certains processus, pour en trouver des plus justes pour moi aujourd’hui.

C’est possible aussi parce qu’ici j’ai un vrai temps de recherche : pour écrire, mais aussi pour penser mon écriture.

Ça décape un peu certains questionnements, c’était assez vertigineux certains jours, mais le fait de n’avoir que cet impératif-là durant un mois, m’a donné la sécurité pour m’y plonger complètement, sans crainte que ça vienne déstabiliser trop brutalement les autres équilibres autour.

Donc oui, j’ai résolu de nombreuses questions en résidence, même si ça en a forcément ouverte d’autres, mais elles me semblent plus fines et bien moins glissantes que les précédentes.

 

Dans le cadre de votre résidence, quelles sont les rencontres qui vous ont marquées ?

Je suis intervenue auprès de plusieurs groupes de lycéens pour parler de mon travail d’auteure, notamment à partir de mon premier roman Et ma langue se mit à danser, qu’ils avaient travaillé en classe. 

Durant l’une de ces rencontres, le regard d’une personne dans le groupe, silencieux durant toute la rencontre, mais visiblement touché à vif – aux larmes – par la discussion, me reste en tête. 

 

Pourriez-vous décrire un moment fort de votre résidence ? 

Le premier matin au réveil. Sentir que quelque chose vacille dans mes repères habituels (la lumière à, les sons autour, la consistance du lit…). Prendre quelques secondes pour réaliser où je suis. Et me dire que ce sera cet endroit, à la fenêtre posée au dessus des vagues, qui sera mon refuge pendant les prochaines semaines. Et que je vais pouvoir m’y saouler d’écriture.

 

Quelle suite pour votre projet d’écriture ?  

Vu le remue-méninges réalisé pendant ce mois de résidence, j’ai le sentiment d’en n’être qu’au début de ce roman.

Pour la première fois je m’autorise à penser que ce texte va peut-être me prendre un temps vraiment long pour s’écrire (ce qui n’avait pas été le cas pour les précédents : d’habitude j’aime bien que l’écriture aies quelque chose d’un peu « éclair » dans sa temporalité). Une seconde étape-clé est prévue cet automne, avec une résidence d’écriture à Angers.

 

Propos recueillis par Cindy Mahout 

[Questions à…] Ysiaka Anam en résidence à la Villa la Brugère
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