« On sent une envie de plus en plus forte des écrivains de s’impliquer sur scène »

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Publié le 12/03/2024
Temps de lecture : 5mn

Les festivals et salons littéraires jouent la carte du spectacle vivant. Au Havre, le festival Le Goût des Autres illustre à grande échelle ce passage des salons du livres à une autre dimension. Les organisateurs Thomas Siriot et Dominique Rouet expliquent leur démarche.

© Philippe_Breard_LGDA

La musicienne Souad Massi, en lecture-concert avec l’autrice Nina Bouraoui, lors de la dernière édition du Goût des Autres.

En un peu plus de 10 ans, le festival Le Goût des Autres est devenu une place forte et originale dans le paysage des festivals littéraires en France. Chaque année, il met à l’honneur une thématique à travers la réunion d’auteurs et d’artistes de toutes disciplines artistiques confondues, pour favoriser la croisée des genres et proposer au public des rendez-vous uniques.

L’événement est un vivier de créations, des spectacles jamais vus auparavant, dont certains voyageront par la suite. «Notre boussole, c’est de proposer des hybridations. On ne s’interdit rien, pourvu que ça ait du sens», résument les organisateurs Thomas Siriot et Dominique Rouet. Interview.

Comment est née l’idée d’un festival qui croise autant les genres ?

Dominique Rouet. « Le festival est né en même temps que la politique de lecture publique de la ville. Le goût des autres n’est pas un salon du livre qui rassemble juste des lecteurs. On provoque les croisements, on propose des hybridations. C’est notre boussole. La recherche de nouveaux publics, sa diversification, passe par là. On peut attraper d’autres publics en croisant le livre avec des formes d’expression qu’ils ont l’habitude de pratiquer. »

Le point de départ c’est donc l’élargissement de la diffusion de la lecture ?

« Oui, pour favoriser la découverte du plaisir de la lecture, nous avons choisi le biais de multiplier les moments et les lieux qui provoquent la rencontre. Nous avons travaillé évidemment en pensant aux lecteurs habituels, déjà conquis par le livre, mais surtout à tous ceux qui n’ont pas cette proximité avec la lecture.

Croiser différents modes expressions culturelles, c’est un excellent moyen d’amener à la lecture. A nous d’être imaginatif quant à ces croisements. On ne s’interdit rien, mais à condition que ça ait du sens. »

Votre programmation a donc aussi en tête la diversité des publics ?

Thomas Siriot. « C’est tout l’intérêt de l’approche protéiforme de notre manifestation. Rien que la multiplicité des lieux et des formats de rendez-vous, du chapiteau (Magic Mirror) à la petite librairie, permet cette diversité des publics que nous recherchons. »

« Repartir d’une page blanche chaque année, en cherchant de nouveaux formats. »

« Notre particularité, c’est aussi de repartir d’une page blanche chaque année, en cherchant de nouveaux formats, d’autres terrains. Par exemple, en janvier dernier, nous avons organisé un battle de rap en ouverture. C’est audacieux pour un festival littéraire. En janvier 2025, on vous promet de nouveaux formats. On réfléchit par exemple à la danse et aux cultures urbaines. »

Le festival a-t-il aujourd’hui des répercussions sur la lecture publique au Havre ?

Dominique Rouet. « C’est un travail de longue haleine, jamais achevé. Conquérir un public une fois ne veut pas dire qu’on a converti définitivement. Difficile de mesurer l’impact du Goût des Autres sur la diffusion de la lecture auprès de nouveaux publics. Mais un terreau s’est créé localement, on le voit avec les acteurs culturels et sociaux de la ville pour qui la lecture est devenue un élément pris en compte dans le montage de projets. C’est déjà un signe très positif. »

© Philippe_Breard_LGDA
Éric Reinhardt et la comédienne Anne-Marie Philipe, en lecture musicale au Havre, lors de la dernière édition du festival Le Goût des Autres.

Les auteurs aiment-ils le rapport scénique avec le public ?

Thomas Siriot. « On sent une envie de plus en plus forte des écrivains de d’impliquer sur scène, de cette manière. C’est lié aussi à un rapprochement récent entre monde littéraire et monde du spectacle vivant.

Quand on voit, comme cette année, Nina Bouraoui, en lecture-concert avec Souad Massi ; ou encore Éric Reinhardt et la comédienne Anne-Marie Philipe, en lecture musicale, le rapprochement entre les deux mondes est impressionnant.

C’est quand même une prise de risque pour l’écrivain, et notre rôle est de les accompagner dans cette démarche. Et puis les éditeurs sont aussi moteurs, ils ont de plus en plus envie de voir leurs auteurs aller au-delà de la simple dédicace.

Dominique Rouet. « Les auteurs sont attirés aussi parce que c’est une manière de donner une autre dimension au texte et de vivre autrement le partage avec le public. »

Le Goût des Autres est donc aussi un grand stimulateur de créations ?

Dominique Rouet. « C’est une dimension qu’on assume, même si l’on n’est pas un organisme de diffusion. C’est ce qui fait aussi l’intérêt pour le public : au Goût des Autres, on peut assister à des rendez-vous uniques, jamais vus auparavant et qu’on ne reverra peut-être jamais. A voir comment s’arrachent les places (gratuites) aujourd’hui, il va falloir réfléchir de plus en plus à la manière d’ouvrir les places à la réservation, pour garantir la diversité de publics à laquelle on tient. »

Interview Laurent Cauville / Aprim

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