Sur scène ou à l’écran, le livre s’invente de nouvelles vies

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Publié le 11/04/2024
Temps de lecture : 5mn
Matière mouvante, le livre inspire d’autres formes artistiques. Les auteurs s’emparent de la scène, leurs textes inspirent des réalisateurs, des danseurs, des plasticiens. Témoin de ce joyeux métissage, Normandie Livre & Lecture veut accompagner cette tendance aux croisements féconds.
Éric Reinhardt et la comédienne Anne-Marie Philipe, en lecture musicale au Havre, lors de la dernière édition du festival Le Goût des Autres.
© Philippe Bréard / LGDA

C’est un signe parmi d’autres : le nombre de livres portés à l’écran a grimpé en flèche ces dix dernières années. Le CNL a ainsi recensé en 2023 plus de 1 400 adaptations en film, série ou téléfilm sorties en France entre 2015 et 2021, selon un rythme annuel qui a plus que doublé (lire aussi en « Repères »). Également à la hausse, les manifestations littéraires programmant des créations où l’écriture croise le spectacle vivant. Lecture musicale, concert dessiné, poésie slamée… Des moments parfois suspendus, où le texte résonne autrement.

Le théâtre est un genre habitué à puiser de la ressource dans le monde du livre. La compagnie Sans Soucis (jeune public) a ainsi fait appel récemment à l’écrivaine et illustratrice Cécile Dalnoky, qui signe les illustrations et le décor d’Un bateau, création d’avril 2024. De son côté, pour Ce chat qui est en toi (music-hall jeune public créé en 2023 à la Scène nationale 61), la compagnie Ouranies a sollicité l’illustrateur Timothée Le Véel dont elle avait repéré le travail.

Auteurs en scène

Plus récente est la tendance des auteurs à monter sur scène. Au Havre, le festival Le Goût des Autres en a fait une marque de fabrique. Il programme depuis ses débuts des moments singuliers, comme cette rencontre marquante en 2015 de Maylis de Kerangal avec le musicien Cascadeur, pour une adaptation de son roman Dans les rapides. Pour Réparer les vivants, l’autrice a aussi vu l’un de ses textes prendre d’autres formes, avec une adaptation à succès au cinéma (2016) et un époustouflant seul en scène d’Emmanuel Noblet en 2017.

La scène, une manière plus collective de vibrer ? « Oui », répond sans hésiter Marie Nimier. Aussi parolière et autrice théâtre et jeune public, l’écrivaine a pris l’habitude de créer une lecture performée chaque fois qu’elle publie un nouveau roman. « Plutôt que la séance de dédicace qui formate la rencontre, ou le questions-réponses qui m’oblige à paraphraser mon livre, je préfère livrer un autre éclairage du texte, en proposant une création originale avec des danseurs, des musiciens, des plasticiens… » Pour Les Confidences, elle a produit une lecture avec le peintre Patrick Pleutin. Pour Petite Sœur, ce fut le son cosmique du cristal Baschet, avec la Caennaise Karinn Helbert. En avril 2024, pour Confidences tunisiennes, Marie Nimier montera cette fois sur scène avec la comédienne Naidra Ayadi.

Marie Nimier, dans une lecture renversante avec la danseuse Claudia Gradinger.
 © DR

Les poètes aussi font sonner les mots en public. Comme James Noël, qu’on a pu voir dès 2015 en lecture-concert avec Karim Touré, puis avec Arthur H en 2017. En février dernier, au Petit Faucheux à Tours, on a pu l’entendre dans En toute pyromanie frotter sa poésie au jazz, avec le sextet du pianiste Guillaume Hazebrouck. « La musique texture la scansion et l’ensemble est une intense effusion de sens et de sons », dit-il.

« Une dimension joyeuse de l’écriture »

Tous ces croisements ont le mérite de donner à voir et entendre autrement le texte. « En faisant ainsi résonner l’écriture, on peut aussi donner envie de lecture », résume la comédienne et autrice Caroline Stella. Elle travaille en ce moment avec Damien Dutrait à un projet de festival pour l’automne 2025 à Granville, où l’écriture performée tiendrait une place centrale. « L’idée est d’offrir à un public le plus large possible un point de rencontre avec l’écriture, à travers des temps scéniques et ludiques. Une approche joyeuse de l’écriture. »

Des auteurs attirés par la scène, des compagnies de théâtre en quête de plumes ou d’illustrateurs, des réalisateurs aux aguets pour flairer le « bon » livre à adapter, des éditeurs conscients des enjeux économiques… Dans ce contexte propice aux croisements, Normandie Livre & Lecture intensifie l’accompagnement des professionnels et veut stimuler les échanges (lire en encadré). Avec un mot d’ordre : « Décloisonner. »

Laurent Cauville / Aprim

REPÈRES

162 adaptations audiovisuelles de livres ont été diffusées en France en 2021, contre 75 en 2015, et 114 en 2018. Une hausse soulignée par une récente étude du CNL(1), qui a recensé au total plus de 1 400 adaptations de livres en film, série ou téléfilm sorties en France entre 2015 et 2021. L’essor de plateformes comme Netflix et ses concurrents compte dans ce score.

Près des deux tiers (65 %) des adaptations sorties en France sont toutefois issues de livres en anglais, contre moins d’une sur cinq (19 %) d’un livre en français.

(1) Étude « Les adaptations cinématographiques et audiovisuelles d’œuvres littéraires », CNL et SCELF / mai 2023.

Un sujet pour les professionnels

En 2024, Normandie Livre & Lecture accélère la réflexion sur ces croisements entre écriture et autres formes artistiques. L’agence régionale a inscrit à son calendrier des rendez-vous dédiés. Le 15 février dernier, en partenariat avec Nos reconstructions(1) et le master Création littéraire du Havre, était organisé un temps d’échange sur « La dimension de performance dans l’écriture », ses formes, ses circuits de production et de diffusion. Jeudi 23 mai, en partenariat avec Époque, aura lieu une journée professionnelle sur ce thème à Caen. Jeudi 13 juin, lors du Festival du film romantique de Cabourg, ce sera une journée croisée avec Normandie Images sur les enjeux de l’adaptation du livre au cinéma.

(1) Nos reconstructions est une proposition alliant littérature, arts vivants, urbanisme, débats et éducation populaire imaginée par Clémence Weill (autrice) et Laëtitia Botella (metteuse en scène).

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