« L’insistance des luttes » de Dork Zabunyan : une mémoire en devenir

Les images « amateurs » prises par des téléphones portables et relayées sur les réseaux sociaux pendant les Printemps arabes de 2011 sont le point de départ du livre de Dork Zabunyan, recueil d’articles et d’entretiens. L’auteur interroge leur place dans un contexte de révolte contre des régimes autoritaires, de ces images devenant « archive des luttes présentes et mémoire pour le futur ». Ainsi, le réalisateur de Tahrir, Place de la révolution, Stefano Savona, a été frappé à son retour d’Égypte de constater que « chacun avait dans son téléphone portable des morceaux d’événements, un peu comme il y avait des morceaux du mur de Berlin après sa chute ». Mais que deviendront ces images à la mort des téléphones portables ou des ordinateurs portables utilisés ? Seront-elles tout simplement recouvertes par le nombre toujours croissant d’images diffusées par les plates-formes en ligne ? Comment résisteront-elles et seront-elles métabolisées pour participer à l’insistance des luttes ? « Comment les vidéos anonymes d’un peuple en révolte contribuent à la constitution d’une “mémoire collective” en devenir ? » Car les images sont une inspiration au soulèvement, à la lutte et un matériau pour les historiens. Des images amateurs, éparses, qui n’en demeurent pas moins une cible à abattre pour les gouvernements qui s’efforcent de les effacer une fois revenus au pouvoir.
Ces images amateurs interrogent aussi le cinéma, l’inspirent et le déroutent. Le cinéma qui se retrouve ainsi au croisement de l’écriture fictionnelle et de l’écriture documentaire, de problèmes esthétiques et moraux (chapitre Devant l’effroyable. Art des images et principe de dignité).
Au-delà des Printemps arabes, le livre va plus loin et interroge aussi la valeur de l’image, comme symbole ou « marque » en analysant le cas de la photo de ce jeune enfant syrien de 3 ans, Aylan Shenu, décédé en Méditerranée et retrouvé sur une plage de Bodrum en Turquie, dont la photo a fait le tour du monde. De manière très pertinente, il analyse également le lien entre les images de propagande de Daech et les codes des médias et films occidentaux.
Valérie Schmitt
Mots choisis
« C’est ainsi que l’image brute ou tremblante, éphémère comme peut l’être l’existence du manifestant qui l’enregistre, laisse apparaître une violence ordinaire plutôt vouée à rester cachée. »
Dork Zabunyan est professeur en études cinématographiques à l’université Paris VIII Vincennes-Saint-Denis. Il a récemment publié Fictions de Trump – Puissances des images et exercices du pouvoir (Point du Jour, 2020).