Agnès Desarthe, une écoute du monde

Publié le 20/10/2025
Temps de lecture : 4mn
Romancière, traductrice et autrice jeunesse, Agnès Desarthe se nourrit de ses observations sur le monde et ceux qui le peuplent pour alimenter un processus créatif foisonnant et atypique. Elle le prouve encore dans son dernier roman, à la genèse singulière.
Agnès Desarthe © Celine Nieszawer

Votre dernier roman, L’Oreille absolue, est né dans des circonstances particulières. Pouvez-vous nous raconter ?

Tout est parti d’une commande de textes destinés à la lecture à voix haute, par le Bateau Feu, scène nationale de Dunkerque. Cela a sûrement infléchi les textes que j’ai repris et que j’ai retravaillés pour en faire un roman. Il est possible que ce système de refrain, par exemple, comme vous l’avez vu dans chaque chapitre, soit venu de là. J’ai tout de suite eu envie de mettre en lumière l’harmonie municipale. La musique s’est imposée dans le processus, avec l’utilisation du refrain et des variations sur un thème à chaque fois interprété différemment, ou subtilement modifié, ou transformé en autre chose.
C’est de cette façon que le thème de la mort se décline de chapitre en chapitre. Les principes du solo et du tutti (tout l’orchestre ensemble) sont aussi présents. On retrouve cette construction dans le roman, où, à chaque chapitre, deux personnages s’avancent et on va s’attarder sur leur histoire. Mais pendant ce temps-là, les autres continuent d’exister en arrière-plan. D’un chapitre à l’autre, on retrouve les personnages qu’on a pu voir en soliste dans un chapitre différent.

Quels liens faites-vous entre votre pratique de l’écriture et votre pratique de la musique ?

Beaucoup de liens. J’utilise beaucoup mes oreilles dans l’un comme dans l’autre médium. En musique, on écoute les autres et dans l’écriture on écoute le monde, les voix distinctives des gens, selon leur personnalité, sous un angle plus sociologique, selon d’où ils viennent, comment ils ont été élevés, où ils en sont dans leur vie. Selon l’âge aussi. Il y a toutes sortes de détails qui font qu’une voix appartient à un groupe ou pas et qu’on peut la reconnaître. Cette attention aux autres, c’est un des outils de l’écrivain.

Vous écrivez des romans pour adultes et enfants. Quels sont les croisements entre ces deux univers ?

Depuis trente ans, j’écris pour les deux publics. À mes débuts, je séparais ces deux univers dans ma façon de travailler. Pour traiter des sujets très sérieux, philosophiques, j’allais vers le livre pour enfants, ce qui peut paraître contre-intuitif. Mais non, c’était le bon lieu pour traiter ce qui me tourmentait ou m’interrogeait. J’avais l’impression que les enfants s’intéressaient davantage aux questions sérieuses et qu’ils étaient prêts à parler de la vie, de la mort, de l’univers… Le « pourquoi ? » des enfants me stimulait énormément. Puis peu à peu tout s’est mélangé, et maintenant il n’y a pas de thème réservé à l’un ou l’autre des domaines. Il m’arrive même d’écrire sur les mêmes sujets en même temps dans les livres pour enfants et les livres pour adultes. Mais je sais toujours à qui je m’adresse, j’ai toujours en moi un lecteur qui dit : « Arrête ! Là on commence à s’ennuyer. » C’est surtout l’ennui qui est mon guide. J’aime aussi que le vocabulaire et la syntaxe restent sophistiqués pour les enfants. Pas de raison de simplifier, je vais plutôt essayer d’adopter un regard proche du leur, être attentive aux choses qui leur sautent aux yeux.

Propos recueillis par Valérie Schmitt

Bio express

Installée dans le pays de Caux, Agnès Desarthe a publié une quarantaine de livres pour la jeunesse, et une quinzaine d’ouvrages pour le reste du monde, dont plusieurs essais.

Elle écrit aussi pour le théâtre et compose des paroles de chanson. Normalienne et agrégée d’anglais, elle a traduit Lois Lowry, Cynthia Ozick, Hisham Matar, John Steinbeck ou Virginia Woolf. Prix du Livre Inter en 1996 pour son roman Un secret sans importance (L’Olivier), prix Renaudot des lycéens pour Dans la nuit brune (L’Olivier, 2010) et Prix littéraire du journal Le Monde pour Ce cœur changeant, elle est également lauréate des prix de traduction Maurice-Edgar-Coindreau et Laure-Bataillon, reçus en 2007 pour sa traduction du roman de Cynthia Ozick Les Papiers de Puttermesser.

Derniers ouvrages publiés : Le Château des rentiers (L’Olivier, 2023), Les Téléphonistes anonymes (Gallimard jeunesse, 2024), L’Oreille absolue (L’Olivier, 2025).

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