Sophie Noël « En matière de lecture, l’enjeu c’est la guerre de l’attention » 

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Publié le 21/11/2023
Temps de lecture : 5mn
À la tête de Normandie Livre & Lecture depuis dix-huit mois, Sophie Noël croit en l’intelligence collective pour soutenir les acteurs régionaux de la filière en ces temps incertains. À travers la démarche « Le livre en chantier », elle interroge les nouvelles pratiques de lecture et les nouveaux défis de la filière livre. Interview.

© S. Maurice / aprim

Votre démarche de réflexion se nomme « Le livre en chantier ». Est-ce parce que nous vivons une période de bascule pour la lecture et le livre  ?  

« Nous enchaînons les périodes charnières depuis quelques temps déjà, sur fond de mutation autour du numérique et des comportement notamment chez les jeunes, où la lecture audio et les écrans bouleversent les pratiques.  

L’activité des libraires et des éditeurs est par ailleurs impactée par les des freins économiques, avec les suites de la crise Covid et l’impact de la guerre en Ukraine avec la hausse des coûts qui en découle. A tout cela, s’ajoutent les enjeux écologiques.  Pour Normandie Livre & Lecture, cet environnement incertain réclame qu’on lance un vrai chantier, au moment où s’ouvre pour elle une nouvelle période, avec l’élaboration d’un plan d’actions sur trois ans. »

 

Vos deux grands axes de travail sont : 1/ les relations entre acteurs de la filière et 2/  l’adaptation aux nouvelles pratiques de lecture. Ces thèmes étaient évidents ? 

« Oui, ils sont inscrits dans la raison d’être de Normandie Livre & Lecture. Ils résument assez bien à quoi nous voulons servir. Œuvrer pour le dialogue interprofessionnel est un des fondamentaux de notre structure. Nous sommes l’agence de coopération des métiers du livre. Notre travail est de saisir des besoins des professionnels et de proposer des réponses dans le cadre d’une coopération permanente.  Et je constate qu’il y a des progrès à faire sur l’interconnaissance entre les acteurs et surtout sur la prise de conscience d’objectifs communs.  

Chacun de son côté a des objectifs légitimes : l’auteur veut publier, l’éditeur veut diffuser, le libraire vendre, le bibliothécaire toucher tel et tel public… Mais pas de destin commun ou de projet partagé. Pour la thématique mutation-perception de la lecture, on est là en plein dans notre rôle sur la prospective, pour aider le réseau professionnel à anticiper et comprendre ce qui nous attend. Accompagner les mutations c’est aussi renforcer les acteurs dans leurs activités. » 

© S. Maurice / aprim

Comment décririez-vous les mutations en cours en matière de lecture ? 

« Un des gros enjeux actuels c’est la guerre de l’attention qui grignote le temps potentiellement consacré à la lecture. On n’est pas en décrochage massif, les Français lisent encore, mais moins et surtout autrement. Le développement de la multi-activité, notamment chez les jeunes, change la donne. Donc les lectures sont entrecoupées, les temps de concentration se réduisent. De nouveaux modes de lecture comme le livre audio émergent. Le numérique, avec l’émergence de l’IA, vient aussi bousculer la création. 

Donc la question est de savoir comment on intègre ces nouveaux paradigmes pour continuer de développer la lecture. Aujourd’hui, les leviers sont sur l’accompagnement et la médiation du livre, la lecture à voix haute, les ateliers d’écriture pour leur rôle incitatif vers le livre… Travailler les enjeux de participation du public, pour qu’il soit acteur. 

Notre rôle est de trouver les moyens de continuer à transmettre le goût de la lecture plutôt que d’adapter le produit livre à un certain profil de clientèle. Les grands éditeurs sont déjà là-dessus, ce n’est pas notre rôle. 

« Je crois beaucoup à l’expérimentation, au fait de proposer de nouveaux modèles »

La filière est-elle assez préparée pour s’adapter ? Est-elle inquiète ?  

Inquiète oui, et c’est légitime. Face à cette inquiétude à nous d’apporter des réponses. Difficile de dire si la filière est globalement préparée, les perceptions de chacun sont différentes. Je crois beaucoup à l’expérimentation, au fait de proposer de nouveaux modèles grâce auxquels on trouvera des moyens de s’adapter.  

Normandie Livre & Lecture doit développer ce rôle de laboratoire. Par exemple, sur l’écologie du livre, nous avons travaillé avec deux bibliothèques normandes pour conserver les documents en maîtrisant le recours à la climatisation. A partir de cette recherche, nous allons pouvoir déterminer des recommandations transposables. Nous allons développer ce type de collaboration pour imaginer des réponses concrètes et transposables, pour mieux s’adapter aux nouvelles réalités que rencontre la filière. 

Concernant la coopération interprofessionnelle, doit-elle sensiblement progresser en Normandie ? Qu’en disent les pros consultés ?  

NL&L est très attendue sur cet enjeu de coopération. Les participants à nos ateliers se sont largement exprimé en faveur de temps de rencontres, de temps d’échanges, pour poursuivre des dynamiques engagées. Se rencontrer n’est pas une fin en soi. Encore une fois il faut partager une vision collective et des objectifs atteignables.  

Beaucoup d’idées aussi ont été émises pour aider à mieux connaître les métiers de chacun : speed dating, Vis ma vie, annuaire enrichi… Les professionnels expriment aussi le besoin d’être guidés vers des bonnes pratiques partagées, ce que nous faisons déjà à travers des outils pédagogiques type vade mecum ou webinaires…  A poursuivre.  

Avez-vous été surprise par les propositions lors des ateliers ? 

J’ai surtout noté une grande convergence des idées d’un atelier à l’autre. J’ai senti des attentes de fond, qui échappent aux contingences locales. Des attentes convergent d’un territoire à l’autre ce qui est précieux pour établir pour établir une stratégie à l’échelle régionale. Nous avons aussi senti un fort engagement des participants pour apporter leur éclairage lors des ateliers.  

Propos recueillis par aprim

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