Un violoncelle comme bouclier

Jean-Louis Ezine, journaliste littéraire, écrivain et cycliste, est né à Cabourg en 1948. Il a grandi à Lisieux et à Houlgate avant d’étudier la philosophie à l’université de Caen. Entre 1990 et 2013, il a réjoui, vingt-trois ans durant, les auditeurs des matins de France Culture avec un billet quotidien et ceux du dimanche soir de France Inter, lors du Masque et la Plume consacré aux livres, par ses interventions spirituelles et toujours décalées.
En 2009, Jean-Louis Ezine nous bouleverse avec Les Taiseux, premier récit autobiographique, publié dans la collection blanche de Gallimard. Quelque temps auparavant, en 1995, à la mort de sa mère, Jean-Louis Ezine a appris le violoncelle, réalisant que ses sonorités sont au plus près de la voix humaine. Depuis, il l’emmène, parfois, en des lieux improbables de sa Normandie familiale, pour rendre hommage et communier en musique avec ses ancêtres maternels qu’il n’a pas connus. L’un était casseur de cailloux, un autre fut résistant exécuté sans sépulture…
Jean-Louis Ezine emporte son violoncelle et la chaise, indispensable à l’instrumentiste, pour les rencontrer. Avec son archet, se substituant à son stylo ou son clavier, sur une chaise « devenue un instrument à part entière », il cisèle alors ses émotions et confie à son violoncelle, doté de deux âmes, sa perception de ces destinées nouvellement reconstituées.
La quête d’une tribu
La Chaise, c’était aussi le nom d’un exercice de théâtre que le metteur en scène Jo Tréhard, fondateur de la renaissance culturelle de Caen, lui proposait, dans les années 1960, quand, élève comédien, il lui demandait de traverser la scène du théâtre-maison de la culture de Caen, pour se rendre d’une chaise à une autre.
Quatrième livre écrit par Jean-Louis Ezine, en plus de quarante ans, La Chaise foisonne d’anecdotes et de révélations sur la Normandie et le pays d’Auge. C’est un récit malicieux et intime rebondissant en mots et en musiques vers de joyeuses digressions. Tenant son violoncelle comme un bouclier, Jean-Louis Ezine réveille et partage avec lui son enfance chaotique et le suicide de sa mère. Cette histoire si touchante d’un enfant sans père en quête de sa tribu et des fantômes arrachés à sa jeunesse est aussi celle d’une construction et d’une guérison. Avec La Chaise, Jean-Louis Ezine prend place face à nous. Ce faisant, il nous emporte, avec pudeur et sans pathos. Son écriture est juste et éblouissante. Son livre, jamais bancal, est toujours bouleversant.
Philippe Normand
Mots choisis
« Il existe deux façons de se taire. L’une consiste à se soustraire au devoir de la conversation, l’autre à s’y noyer au contraire sous un déluge de faux-semblants, de digressions trompeuses et de frivolités salutaires. Ainsi replié dans son for intérieur, on s’y protège derrière les fantaisies d’une apparence artiste. J’ai beaucoup pratiqué cette grimace et longtemps brouillé les pistes. On y gagne en mystère, ce qui a le mérite d’éteindre dans les esprits les conjectures blâmables touchant votre lignage. Le bavardage n’est chez moi que du silence maquillé, une ruse de taiseux. »
La Chaise a reçu en mai le Prix de la ville de Deauville / Livres & Musiques 2025, qualifié par Jean-Louis Ezine, dans ses remerciements, de « prix Goncourt du pays d’Auge ».