Shane Haddad, une voix forte dans la rentrée littéraire

Publié le 17/10/2024
Temps de lecture : 5mn
Trois ans après la sortie remarquée de Toni tout court (son premier roman, chez P.O.L), l’autrice de 27 ans, issue du master Création littéraire du Havre, confirme avec Aimez Gil un style singulier qui comptera dans cette rentrée littéraire 2024.
Shane Haddad © Hélène Bamberger 

Vous êtes sortie diplômée en 2020 du master Création littéraire du Havre. Que vous a apporté cette formation ?

J’ai appris à lire un texte. À lire avec attention, à observer sa forme, à entendre son rythme, à comprendre le fond du propos, la démarche d’écriture. En apprenant à lire, on apprend à trouver ce qu’il faut travailler, explorer, retravailler dans ses propres textes. C’est une merveilleuse base.

Cette formation a-t-elle modelé votre écriture, et sa rythmique singulière faite de répétitions de mots ou de formules ?

Mon processus d’écriture s’ancre dans un nombre important d’événements et de lectures, de convictions et de regards qui ont eu lieu tout au long de ma vie. Et cette écriture continuera d’évoluer encore et encore, des évolutions dont je n’ai pas idée. Il y a eu le master, mais il y a eu tous les ateliers que j’ai suivis avant, il y a eu mon année en librairie, il y a eu les ateliers d’écriture que j’ai animés… Et puis encore avant, des livres qui m’ont modifiée, puis encore avant, une écriture d’invention au lycée, et puis encore avant, une découverte intime qui a changé mon rapport au monde, etc. C’est surtout une histoire de réseau mental, d’événements artistiques qui se sont, à travers le temps, mués en des événements intimes.

Après le succès de votre premier roman Toni tout court en 2022 (sorti en poche), avez-vous le sentiment d’être « attendue au tournant » pour ce deuxième livre ? L’écriture d’un second livre est-elle plus difficile ?

Je n’ai pas écrit ces deux livres du même endroit, ça c’est sûr. Le premier n’avait pas vocation à être publié, c’était une expérimentation dans le cadre de mes études, une toute première tentative, une découverte de ma propre voix. Je ne projetais pas de lecteur·ices autre que le jury de soutenance.

Le deuxième texte tendait vers une publication. Il avait donc un horizon plus ouvert. Le démarrage a été éprouvant, j’écrivais avec l’écho des mots qui avaient été posés sur mon écriture. Mais quand j’ai trouvé la juste voix de Gil, alors je savais que j’étais en écriture. Et la difficulté est redevenue juste : elle n’a concerné que le texte et ce geste-là, si précieux, du travail de la mélodie.

Dans vos deux romans, vous traduisez de manière saisissante les sensations d’une jeune protagoniste en fuite et/ou en décalage avec la réalité qui l’entoure. L’humeur mélancolique qui hante la narration dans vos deux récits traduit-elle un sentiment de votre jeune génération face au monde ?

Je sais avoir ingéré un bon nombre de livres écrits par des femmes sur la jeunesse, la fougue, la nature, la relation au corps. Et je crois que c’est ça qui transpire dans mes deux premiers textes. La mélancolie, c’est mon affaire, c’est le geste qui s’exprime de cette manière, je ne l’explique pas et si je tentais de me l’expliquer alors je changerais la spontanéité de mes mouvements. Mais voilà, il y a ces textes qui m’animent, qui m’orientent, qui peuplent mon imaginaire et ils parlent de cette attention si particulière que beaucoup d’écrivaines ont à leurs corps, et du lien entre le corps et le monde, et du lien entre le corps, le monde et leur écriture.

Propos recueillis par Cindy Mahout et Valérie Schmitt

« Je dis, en divisant chaque syllabe, en les plantant pour faire germer un nouveau monde, je dis aimez Gil. Aimez Gil. Une prière dans la voix la plus basse, la voix la plus insignifiante qui puisse être. Aimez Gil. »

Extrait de Aimez Gil (P.O.L)

Bio express  

Après des études théâtrales et littéraires, Shane Haddad écrit son premier roman dans le cadre du master Création littéraire de l’ESADHaR/Université du Havre. En janvier 2021, Toni tout court, roman autour de la jeunesse, du football, de l’urbanité, est publié aux éditions P.O.L. Depuis, elle travaille en tant que dramaturge pour la Compagnie Stadios, avec qui elle a coécrit Le Combat du siècle n’a pas eu lieu, joué au Volcan Scène nationale du Havre en 2023. Avec la compagnie La Mesa Feliz, elle coécrit actuellement le spectacle Bonnes, qui sera joué au Théâtre de la Tempête en juin 2025. Son nouveau livre Aimez Gil (P.O.L) a bénéficié d’un soutien de la DRAC de Normandie et de la Région Normandie au titre du FADEL Normandie.

© P.O.L.

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