Philippe Müller : « Faire monter le livre sur scène, c’est proposer une autre dimension du texte »
L’idée de croiser la littérature avec d’autres arts gagne chez les programmateurs de salons du livre. En Normandie, des pionniers en ont fait très tôt leur marque de fabrique. Comme les Rencontres d’été théâtre & lecture en Normandie, qui dès 2002, à Houlgate, a choisi de croiser l’écriture avec la musique, la danse et les arts plastiques.
Depuis, ces interactions artistiques sont la signature de cet événement hors normes. Cette année encore, du 20 juillet au 25 août, le programme du festival avance « 107 propositions multiformes, dans une grande variété de lieux souvent remarquables du patrimoine, avec une pléiade d’auteurs et d’autrices, d’interprètes de renom ou de jeunes talents. »
Pour Philippe Müller, son co-créateur avec Vincent Vernillat, l’impact auprès du public est sans comparaison. Il revient ici, en interview, sur la magie de ces mélanges qui créent souvent des étincelles.
Philippe Müller, comment résumer ce goût pour les croisements artistiques qui fait le sel de votre festival ?
Croiser les formes, c’est croiser aussi les gens. C’est une façon vivante de promouvoir la lecture, mais ce sont surtout des moments de partage intenses. En 22 ans, nous avons assisté ici à des créations mémorables. Récemment par exemple, on a pu voir Agnès Desarthe, dans une lecture dansée inspirée par son livre L’Éternel Fiancé, avec la danseuse Louise Hakim ; ou l’incroyable performance tirée du récit Croire aux fauves, de Nastassja Martin, avec la poétesse Laurence Vielle, le musicien Vincent Granger et le peintre Marc Feld, et donnant naissance à une fresque de 20m2.
«Quand le livre monte sur scène, il n’y a plus de quatrième mur»
Pensiez-vous que le public adhérerait autant à ces propositions basées sur l’interprétation d’un texte qui, à l’origine, n’a pas été écrit pour être lu sur une scène ?
Mettre le livre sur scène, c’est effectivement une manière de proposer une autre dimension du texte. Il ne faut pas oublier que tout texte est écrit par un corps, celui de l’auteur. La lecture, c’est une parole nue, sans les artifices du théâtre. Dans la lecture à voix haute, pour le comédien-lecteur, la seule chose à jouer c’est l’écriture, et c’est pourquoi c’est une performance. Le lecteur devient un passeur.
Cette mise à nue plait au public, parce qu’elle fait naître une émotion particulière. Le texte s’adresse directement, frontalement, au public, alors qu’au théâtre, le public est un quatrième mur. C’est, je crois, cette authenticité qui touche les gens.
Est-ce aussi une manière de parler, à partir d’un livre, à un public éloigné de la lecture ?
Sans doute. Dans cette optique, nous travaillons en partenariat avec une grande diversité de structures, de l’IMEC à la plus petite association ou bibliothèque. Notre festival veut parler à tous les publics. Dès le 19 juin (et jusqu’au 19 juillet), notre programmation s’adresse aux enfants à partir de 30 mois, avec Partir en Livre.
Mais la seule volonté de toucher un public large ne suffit pas, il faut trouver les formes pour faciliter le passage des œuvres au public. C’est là que les croisements entre formes artistiques entrent en jeu. Ces croisements rapprochent le lecteur du livre mais au-delà, permettent des moments conviviaux, de partage, comme par exemple les repas spectacles autour d’un auteur que nous organisons chaque dimanche.
En croisant les formes, on croise aussi les publics. Et cette dimension compte énormément à nos yeux.
Recueilli par Laurent Cauville / Aprim
Retrouvez ici la brochure-programme des Rencontres d’été théâtre & lecture en Normandie