Michel Bussi : du roman au scénario avec le même succès
Avec 17 romans parus aux Presses de la Cité, Michel Bussi est l’un des auteurs les plus prolifiques de sa génération. Ce qui n’empêche pas l’écrivain rouennais de s’aventurer sur d’autres terrains, avec notamment l’écriture de scénarios pour la télévision. Une diversification « récréative », mais qui a décuplé sa notoriété.
Perluète : Avant d’écrire des scénarios, trois de vos romans1 ont été adaptés pour des séries télévisées. Comment cette opportunité s’est-elle présentée à vous ?
Le mérite en revient à l’éditeur. Tous les grands groupes d’édition ont un service dédié à la cession des droits audiovisuels. Il y a une telle concurrence pour décrocher des adaptations auprès des chaînes télé, des plateformes de streaming ou au cinéma que les éditeurs se mettent tous en rang pour séduire les producteurs. Un auteur qui voudrait le faire lui-même, parce qu’il est publié chez un petit éditeur, serait très désavantagé car ça passe par des réseaux constitués et des relations.
Donc, il ne faut pas trop croire au miracle si on n’est pas encore un auteur consacré ?
Pour la télévision, je crois effectivement que c’est très rare. Au cinéma, c’est moins organisé, plus informel. Un réalisateur peut avoir un coup de cœur pour un nouveau roman et avoir envie de l’adapter. Mais ça fonctionne beaucoup plus pour la littérature blanche.
Vous avez accepté sans craintes les adaptations de vos romans à la télévision ?
Quand un producteur et un scénariste s’approprient votre œuvre, elle vous échappe. Il y a bien sûr un risque de trahison, mais quand on est jeune auteur, c’est une opportunité qui ne se refuse pas. On n’a pas grand-chose à perdre, sauf si l’on pense que son texte est sacré. Et si l’adaptation est décevante, on peut toujours soutenir que le roman est meilleur !
Il y a eu un effet sur votre carrière ?
Avec les premières adaptations de mes romans, je suis passé de 100 000 lecteurs à 3 ou 4 millions de spectateurs. Ça décuple votre notoriété. Une adaptation, ça vous sort du rang, surtout quand une chaîne décide de construire un héros récurrent autour de votre personnage. C’est là que les romanciers peuvent se placer.
Avez-vous participé aux adaptations ?
Seulement de loin. J’essaie d’avoir un regard sur la bible pour me mettre d’accord avec le producteur et le scénariste sur les personnages et l’intrigue. Pour Rien ne t’efface, tourné par TF1 en mars 2024, j’ai lu le scénario des six épisodes. J’ai fait des remarques en espérant qu’elles seront prises en compte mais j’ai passé la main à la production. L’auteur ne doit pas être l’empêcheur de tourner en rond. Les enjeux d’une série qui mobilise une équipe de 40 à 50 personnes sont trop importants. Votre texte ne vous appartient plus, sauf si vous devenez co-scénariste.
Ce que vous n’avez pas fait…
Non, c’est trop compliqué pour moi de couper mes propres romans.
En revanche, vous écrivez des scénarios originaux pour la télévision. C’est une activité très différente du roman ?
Oui, je fais une distinction nette entre le scénario et le roman. L’Île prisonnière2, que j’ai écrite pour la télévision avec Christian Clères, est une série d’action très visuelle. Je ne voyais pas l’intérêt d’en faire un roman.
Un roman, qui est aussi infiniment plus long à écrire…
C’est un œuvre personnelle qui demande un travail solitaire. Pour un scénario, vous faites une version 1, puis une version 2… Jusqu’à la finalisation, on passe pratiquement plus de temps en réunion qu’en création pure. Si vous avez de l’imagination, vous pouvez être prolifique. Mais c’est aussi un travail d’humilité, car des gens qui n’ont jamais rien écrit pourront vous expliquer comment on construit un suspens. Il faut accepter de jouer le jeu.
Est-ce une activité profitable pour un auteur qui chercherait à se diversifier ?
Beaucoup de scénaristes sont des auteurs de polars, souvent peu connus en dehors de ce cercle. Mais ils ont une notoriété dans l’écriture sérielle et vivent davantage de leurs scénarios que de leurs droits d’auteurs. Un écrivain qui a une plume solide et qui a montré un savoir-faire pour nouer des intrigues peut y trouver un complément d’activité plutôt bien payé. Pour beaucoup, le roman devient alors la cerise sur le gâteau, et c’est le métier de scénariste qui leur permet de développer une œuvre plus personnelle.
Stéphane Maurice / aprim
1 Maman a tort pour France 2 (2018), Un avion sans elle pour M6 (2019), Le temps est assassin pour TF1 (2019).
2 L’Île prisonnière a captivé plus de 4 millions de téléspectateurs sur France 2 en 2023.